Gratitude

 décembre 2002
par  Jean Heutte
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Le 13 décembre 2002, mon père est décédé d’un cancer du poumon.
18 mois plus tôt, 21 ans après avoir passé le BAC, j’entrai pour la première fois comme étudiant dans une université (il n’est jamais trop tard pour commencer à faire des études...).
Cette année là, j’étais presque surpris de constater que mon père suivait cette étape de ma vie avec une touchante et bienveillante attention. Au cours de l’automne, nous avons eu l’occasion d’échanges particulièrement riches : je réalisais à chaque fois combien nous avions une proximité philosophique, intellectuelle et affective. Au cours du dernier après midi passée avec lui (comme il ne pouvait presque plus se lever, j’étais allongé à ses côtés), il me faisait part de ses doutes quant à ses qualités de père. J’ai alors eu tout le loisir de lui exprimer combien je lui étais reconnaissant d’être ce que je suis. J’ai été surpris que mes paroles l’apaisent... Et là, brusquement, j’ai réalisé que je ne le lui avais peut être jamais réellement dit d’une façon aussi explicite avant ce jour-là...

Aussi, dans un élan de gratitude envers toutes celles et tous ceux a qui je dois tant, je livre ici un extrait du texte de remerciements rédigé à l’occasion de la soutenance de mon premier mémoire universitaire, en septembre 2002, quelques mois avant le décès de mon père.

Remerciements

Il y a quelques minutes encore, je pensais vraiment que je ne rédigerais pas ces quelques lignes. J’avais vraiment peur de déraper dans le pathos mielleux et souvent ridicule de ce type d’exercice. Mais comme je ne souhaite pas passer pour un ingrat, je fais une tentative ...

En ce qui concerne les piliers de mon écologie affective :
Mes parents (sans qui je ne serais pas), ma femme (qui apprécierait que j’arrête de jouer à l’étudiant pour participer à des activités plus domestiques), mes enfants (qui voudraient surtout que j’arrête de squatter l’ordinateur pour regarder un film DivX), comme tous mes véritables proches (membres de la famille ou amis) n’ont pas attendu ces lignes pour tenter de savoir s’ils comptaient ou non dans ma vie.
Les remercier ici n’aurait, en fait, pas beaucoup de sens.

En ce qui concerne les piliers de mon écologie cognitive :
Des plus humbles (secrétaires, techniciens et ouvriers de service, agents territoriaux..), aux plus puissants (qui fréquentent les "étages à moquette"...), en passant par de nombreux collègues enseignants ou non, j’ai eu la chance de croiser beaucoup de femmes et d’hommes exemplaires qui ont marqué ma façon de penser et de concevoir le monde. Chacun, à sa façon, a apporté sa pierre à mon édifice. Leur nombre a fait leur force, sans leur étayage, je n’aurais peut-être jamais remis en cause mes certitudes puériles.
Beaucoup ont pris des risques en osant me faire confiance, ou parfois en voulant me protéger : ils préféreront certainement que je ne les nomme pas afin qu’il leur soit plus vite pardonné.
Mais je n’ai, en fait, pas vraiment besoin de le faire, si un jour ils lisent ces lignes, ils se reconnaîtront.

J’en ai aussi croisé d’autres qui illustrent plutôt le principe de Peter, (parfois malheureusement même celui de Dilbert [1]), parce qu’ils se croient grands, alors qu’ils ne sont pas grand-chose : leur vrai pouvoir se résume souvent à celui de dire non.
Ils représentent tellement tout ce que j’espère ne jamais être, que leurs piètres agissements ont produit sur moi un effet auquel ils ne s’attendaient peut-être pas : Contre toute attente, leur médiocrité est devenue involontairement un des catalyseurs de mon énergie positive.
A eux aussi, je dois beaucoup...
Je pense malgré tout qu’il serait inconvenant de les nommer ici.
De toute façon, même si je le faisais, ils refuseraient de se reconnaître.


[1] Le principe de Dilbert est une version aggravée (et très irronique) du principe de Peter. Il s’énonce ainsi : « Les gens les moins compétents sont systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer le moins de dégâts : l’encadrement. » (Adams, 1997)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Dilbert
Attention, il ne faut pas que le plaisir de faire un bon mot, pousse à une interprétation trop rapide de mes propos :
Dans les hautes sphères, j’ai "aussi" croisé des personnes qui, indépendamment de leurs statuts, étaient réellement extraordinaires.