Apprendre sans fil à la patte (Druon & Heutte, 2002)

Début 2000, à l’école Prévert (Villeneuve d’Ascq) : la première "classe mobile" (ordinateurs portables en réseau WiFi) de l’académie de Lille.
samedi 7 mai 2022
par  Jean Heutte
popularité : 2%

Dans les années 1999-2000, c’était le tout début de l’expérimentation des "classes mobiles" (ordinateurs portables + bornes wifi) dans l’enseignement (cf. projet Hypernaute, lauréat de l’appel à projets “N.T.I.C.-Territoire et nouvelles pratiques pédagogiques” lancé par le MENRT et la DATAR). Avec Gérard Druon (directeur de l’école à l’époque), nous avions du nous battre avec le conseiller TICE du Recteur pour pouvoir bénéficier de l’ergonomie, de la robustesse et de la fiabilité du matériel Apple (iBook + bornes AirPort + G4 serveur), mais finalement, en mai 2000, l’école Prévert (Villeneuve d’Ascq) avait pu être la première école de l’académie de Lille a pouvoir expérimenter l’usage pédagogique d’une classe mobile. Nous ne serions certainement pas arrivés à nos fins, sans l’aide faussement discrète, mais particulièrement efficace, de Luc Simon, conseiller TICE départemental de l’Inspection académique du Nord de l’époque : séquence nostalgie...

Reprise de l’encart que j’avais rédigé pour l’article publié dans "Les actes de l’An@é, Association Nationale de acteurs de l’école", en 2002...

A l’école Prévert, le dispositif pédagogique est innovant avant même l’introduction de la technologie.

JPEG - 136.6 ko Dans cette école, j’ai eu à observer un petit groupe d’élèves qui s’interrogeaient mutuellement regroupés autour d’une salamandre rapportée par l’un de leur camarade. La rencontre entre la salamandre et le groupe d’élève n’avait pas été planifiée par l’enseignant, ce dernier n’était pas directement présent dans les échanges entre les enfants, il se tenait légèrement à l’écart, tout en restant disponible. Il est d’ailleurs peu intervenu (si ce n’est pour éviter que les élèves ne" grillent" l’animal sous la lampe d’un rétroprojecteur, en voulant dessiner sa silhouette). Dans le cadre de cette activité scientifique "sauvage et autonome", afin d’enrichir et de poursuivre leurs investigations, les élèves ont effectué une recherche documentaire dans la BCD, puis sur Internet. Ils ont finalement synthétisé les connaissances qu’ils avaient apprises dans un compte-rendu rédigé à l’aide du traitement de texte, pour une communication ultérieure au reste de la classe.

JPEG - 180.6 ko

À l’école Prévert, la transdisciplinarité est permanente et remarquable. Cela a pour effet majeur de placer la maîtrise de la langue au centre de toutes les activités. Cette spécificité favorise l’organisation et la structuration des connaissances : il s’agit de permettre a élève de rendre sa connaissance du monde intelligible aux autres. En cela, toute situation de classe peut être un prétexte à l’analyse des représentations, à la confrontation et à la reformulation de savoirs. Ainsi, la maîtrise de la langue est à la fois un objet d’étude et un moyen pour l’élève d’objectiver sa pensée. C’est aussi pour le maître un moyen d’évaluer la clarification de concepts disciplinaires inscrits dans les instructions officielles.

Un autre aspect exemplaire de cette école réside dans la justesse de la transposition didactique. Tout en guidant l’élève, l’enseignant lui laisse, sur de nombreux temps de classe institutionnalisés, la possibilité de gérer ses apprentissages dans un ordre négocié par contrat. Il s’agit d’une pédagogie dont la fil directeur est le "juste à temps", une gestion "à flux tendu" des apports magistraux :un enseignement "par dessus l’épaule".... Cet opportunisme pédagogique (très éloigné d’une conception "taylorienne"de l’enseignement basée sur le stockage de bribes de connaissances dans un ordre fixé a priori par l’enseignant) est la marque d’une disponibilite et d’une mobilité d’esprit dont font preuve les enseignants de l’école Prévert.

JPEG - 123.3 ko

Finalement cette mobilité d’esprit trouve dans la mobilité des ordinateurs portables et la souplesse du réseau radio un écho tout à fait intéressant, dans la mesure où, pour l’élève, l’opportunité d’utiliser la technologie est du même type que celle d’utiliser n’importe quelle autre ressource (y compris celle de l’aide du maître. Comme il est facile de l’escamoter ou de le ranger, dès qu’il n’est plus nécessaire de l’utiliser, l’ordinateur disparaît du champ de vision de l’élève.

Ainsi, l’écran ne fait plus écran à l’apprentissage, il n’est plus un élément perturbant comme cela est le cas avec un poste fixe (souvent la permanence de l’écran agit comme un aimant, il attire l’œil et perturbe l’attention des enfants, ce qui rend moins efficaces les interventions de l’enseignant). Dans une école où les élèves n’ont pas réellement de classe, mais quils se déplacent d’un lieu d’apprentissage à un autre, li est vraiment pratique pour eux de pouvoir embarquer l’outil informatique dès qu’ils savent qu’ils en auront besoin. Le fait que tous les ordinateurs portables soient en permanence reliés au serveur par le réseau radio, permet à chaque élève d’archiver et de retrouver son travail automatiquement quelque soit l’ordinateur sur lequel li travaille : n’importe quel ordinateur est utilisable par n’importe quel élève où qu’il soit dans l’école (via une application réseau de type "client/serveur"). L’outil arrive exactement à l’endroit où le maître avait prévu que l’élève travaille. Ainsi, la dynamique que l’enseignant souhaite mettre en place dans sa façon de gérer le groupe (y compris par un déplacement ponctuel du mobilier scolaire dans l’espace d’apprentissage) est totalement respectée ce qui n’est jamais possible avec une installation filaire.

Un dernier aspect important de la mobilité est de faciliter et d’optimiser le travail de préparation de l’enseignant. Après la classe, chaque maître récupère sur un ordinateur les travaux des enfants qui ont tra vailléavec lui dans al journée. Ainsi chez lui, l’enseignant peut reprendre al production écrite de l’élève pour lui proposer des pistes de réécriture. Cela permet de renforcer l’efficacité du travail de l’enseignant dans l’aide apportée à chaque élève, sans lui imposer de rester dans les locaux scolaires pour son travail de préparation. Le maître peut ainsi chez lui, agir directement sur les productions des élèves sans passer par l’intermédiaire du support papier, en exploitant lui aussi toutes les possibilités de l’outil informatique pour intervenir directement dans les travaux des élèves. Il peut ainsi plus facilement sélectionner parmi ces travaux ceux qui seront les supports de ses prochaines leçons.

Ainsi, le concept "ordinateur portable en réseau radio" apparaît comme une alternative remarquablement adaptée aux besoins de l’École. Sa souplesse et sa simplicité d’usage permettent au professionnalisme et à l’imagination des enseignants de s’exprimer avec un minimum de contrainte, pour le plus grand bénéfice des élèves.

Jean HEUTTE
Enseignant Formateur
Correspondant local "Nord - Pas-de-Calais de l’An@é
Association Nationale des Acteurs de l’École

Précédemment, en mars 1999, le projet Hypernaute avait été retenu, dans le cadre de l’appel à projets “N.T.I.C.-Territoire et nouvelles pratiques pédagogiques” lancé par le MENRT et la DATAR. Cette labellisation avait permis d’obtenir les financements nécessaires à la création d’espaces informatiques mobiles qui permettaient ainsi d’organiser la formation des enseignants dans n’importe quel lieu du bassin d’éducation Roubaix-Tourcoing.


Source : Druon. G. & Heutte, J. (2002). Apprendre sans fil à la patte : Quand une pédagogie innovante se trouve confortée par une technologie innovante. Les actes de l’An@é, Association Nationale des acteurs de l’école, 103, 28-31.