Développement personnel : une revue de littérature (Jaotombo & Brasseur, 2013)

mercredi 1er avril 2015
par  Jean Heutte
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Notre revue de littérature s’est attachée à expliciter les courants théoriques qui sous-tendent les nombreuses pratiques de développement personnel. Tel un détective, nous avons ainsi suivi la piste de différents courants de psychologie (psychanalytique, humaniste, cognitiviste, positive, etc.) pour constater qu’il n’existait pas de définition directe, explicite et opérationnelle du DP. Cependant, a contrario, il existe toute une constellation de concepts qui lui sont indirectement associés et dont un certain nombre ont été définis, opérationnalisés et validés. D’un point de vue théorique, chacun des concepts que nous avons retenus éclaire un aspect du DP et doit être pris en compte si on souhaite appréhender le DP dans sa richesse et dans sa complexité. Ils peuvent être regroupés en deux grandes catégories : les approches hédoniques qui associent le DP à des expériences positives, telles que le bien-être subjectif (Diener, Suh, Lucas, & Smith, 1999 ; Kahneman, Diener, & Schwarz, 1999) et les approches eudémoniques qui associent le DP à la croissance personnelle et à l’actualisation des potentiels, sans que cela ne soit nécessairement une expérience plaisante. Cette distinction hédonique- eudémonique est cruciale pour saisir les différentes façons de concevoir le DP.

Les concepts hédoniques

Le bien-être subjectif

Les pratiques de DP est censé favoriser un mieux-être (Hée, 2006 ; Lacroix, 2004). Les mesures du bien-être qui sont aujourd’hui les plus couramment adoptées se basent sur le bien-être subjectif. Il s’agit essentiellement de mesurer l’affectif positif, l’affect négatif et la satisfaction dans sa vie (Bradburn & Noll, 1969 ; Diener, et al., 1999 ; Ryan & Deci, 2001 ; Carol D. Ryff, 1989b). Si la pertinence de mesurer le développement personnel à partir du bien-être subjectif peut être discuté, le débat se situe entre ceux qui considèrent que c’est aux répondants de définir ce qu’est le bien-être (école hédonique) et ceux qui considèrent qu’il faut partir de la théorie pour définir le bien-être (école eudémonique). Dans notre recherche, le bien-être subjectif est pris en compte dans le construit sur la santé mentale complète (cf. 1.3 ci-après) et il est mesuré par les trois premiers items de l’échelle MHC-SF développée par Keyes (2009).

Le ratio de positivité : les émotions positives comme expression de développement personnel.

Les émotions positives sont de nature hédoniques, par définition (Annexe5). Dans ses travaux, Fredrickson démontre (2009 ; 2001 ; Barbara L. Fredrickson, Cohn, Coffey, Pek, & Finkel, 2008 ; Barbara L. Fredrickson & Losada, 2005) que les expériences positives peuvent faciliter sinon engendrer un fonctionnement positif. En effet, on peut constater que les émotions positives génèrent un fonctionnement positif, voire un véritable épanouissement si le ratio entre les émotions positives et négatives (P/N) est supérieur à 3. Ce fonctionnement positif a été observé dans un contexte professionnel, notamment grâce à des travaux menés pour comparer la performance de différentes équipes managériales (B. Fredrickson, 2009 ; Barbara L. Fredrickson & Losada, 2005 ; Losada & Heaphy, 2004), mais également dans le devenir des couples (Gottman, 1994) et dans la progression de certaines psychothérapies (Schwartz, et al., 2002). Pour mesurer les émotions, nous avons recours à l’échelle développée par Fredrickson (Burns, et al., 2008 ; B. Fredrickson, 2009 ; Barbara L. Fredrickson, et al., 2008 ; Barbara L. Fredrickson & Losada, 2005 ; 2003).

Les conceptions eudémoniques

Les caractères forces : une approche par les traits positifs. Le développement personnel comme actualisation des forces. Aborder le bien-être sous l’angle eudémonique, c’est présupposer et accepter l’existence de potentiels qu’il s’agit de développer ou au minimum d’actualiser, en l’être humain. Peterson (Peterson, 2006 ; Peterson & Seligman, 2004) s’est proposé d’apporter des éléments à ces réflexions en explorant ce qu’est « le bon caractère ». Avec son équipe, il a mené une revue de littérature extensive suivie par une recherche exploratoire, puis confirmatoire, embrassant au maximum toutes les disciplines et les cultures pertinentes. Il fait ainsi émerger 24 traits positifs qui comprennent les forces universellement partagées. Les forces sont ici considérées comme des quasi-traits dans le sens où elles capturent les différences individuelles de façon stable sans être des caractéristiques immuables, de sorte qu’il est possible de les développer et de les actualiser.

Les échelles utilisées pour mesurer les Forces et développées par Peterson (Peterson & Seligman, 2004) sont le VIA-IS version longue et le VIA-IS version courte.

Le Flow : une approche du développement personnel dans l’activité.

Dans l’activité, le développement personnel se confond souvent avec le « flow », dont la phénoménologie a été pour la première fois définie par Csikszentmihalyi (1990) comme un état et une situation dans lesquels :
- l’individu est mis au défi de mobiliser toute son attention et ses capacités pour accomplir une tâche, sans que celle-ci ne dépasse ses aptitudes ;
- La tâche absorbe toute son attention au point où son expérience du temps qui passe est altérée ;
- Il a une profonde expérience de fluidité dans l’accomplissement de la tâche, démontrant une forme de maîtrise due à un équilibre quasi-parfait entre les aptitudes mobilisées et les capacités requises, chassant de sa conscience les soucis et toute autre préoccupation ;
- Et il est intrinsèquement motivé (autotélique).

Contrairement aux concepts évoqués jusque-là, le flow permet d’envisager davantage le développement personnel dans une perspective dynamique d’action et non exclusivement comme une expérience subjective ni comme l’expression d’une croissance psychologique à plus ou moins long terme. En termes d’instruments de mesures, nous avons recensé le FSS et le DFS (Jackson & Eklund, 2002), le WOLF (Bakker, 2008) et le Flow Short Scale (Engeser & Rheinberg, 2008).

Vers le bien-être psychologique : le développement personnel comme fonctionnement psychologique positif.

Le développement personnel renvoie très souvent au concept aujourd’hui bien défini et opérationnalisé « d’actualisation de soi » (Leclerc, Lefrançois, Dubé, Hébert, & Gaulin, 1998), cher à la psychologie humaniste et qui se décline tantôt comme « le plein fonctionnement de la personne » ou « la vie pleine » chez Rogers (2005), tantôt comme « l’accomplissement de soi » chez Maslow (2008). Mais, le développement personnel fait aussi référence au concept très Jungien d’individuation (Jung, 1964) qui s’il est bien explicité d’un point de vue théorique et clinique n’a pas été à notre connaissance opérationnalisé en tant que tel. Fort heureusement, un travail de synthèse approfondie a été mené du point de vue théorique (Carol D. Ryff, 1989a, 1989b ; C. D. Ryff, 1989), regroupant la psychologie de développement des adultes (Buhler, 1935 ; Buhler & Massarik, 1968 ; Coleman & Neugarten, 1971 ; Erikson, 1959 ; Neugarten, 1968, 1973), les théories cliniques de développement personnel (Allport, 1961 ; Jung, 1933 ; Maslow, 1968 ; Rogers, 1961 ; Von Franz, 1964) et les théories de la santé mentale (Birren & Renner, 1980 ; Jahoda, 1958). Cette synthèse a permis de formuler une première théorie intégrée de différentes conceptions de développement personnel (Ryff, 1989a), laquelle a été suivie d’une opérationnalisation du construit de « bien-être psychologique » (Ryff, 1989b) à 6 dimensions : • L ’acceptation de soi ; • Les relations positives avec les autres ; • L’autonomie ; • La maîtrise de l’environnement ; • Le fait d’avoir un but dans la vie ; • La croissance personnelle.

Il est important de situer le bien-être psychologique par rapport au bien-être subjectif. En effet, ce dernier aborde le bien-être essentiellement sous l’angle de la distinction entre affect positif, affect négatif et la satisfaction dans sa vie (Ryff, 1989b). De ce point de vue on considère le bien-être subjectif comme étant hédonique, dans le sens où il mesure avant tout la présence d’expériences positives et/ou l’absence d’expériences négatives. Par contraste, le bien-être psychologique mesurant le fonctionnement positif et l’actualisation des potentiels est considéré comme étant eudémonique (Ryan & Deci, 2001 ; Carol D. Ryff, 1989a, 1989b).

Différentes versions de l’échelle de bien-être psychologique ont été validées par Ryff et son équipe (Carol D. Ryff, 1989b ; Ryff & Keyes, 1995). Ce concept est également mesuré par 6 items de l’échelle MHC de Keyes (2009). Le bien-être social.

Mais le bien-être n’est-il que de la province de la psychologie ? Cette question est soulevée par Keyes (1998) en signalant que comme le soi n’est pas seulement du domaine privé mais aussi du domaine public (social), il serait important de s’intéresser à une forme de bien-être social. Cette interpellation est d’autant plus cruciale que la sociologie s’intéresse de près aux pratiques de développement personnel, généralement d’une façon particulièrement critique. Ainsi, il est couramment reproché aux pratiques de développement personnel de « psychologiser » les rapports sociaux (Brunel, 2004, 2008 ; Stevens, 2008), et de minimiser les rapports de pouvoirs, au risque de dépolitiser les relations sociales. Quant aux praticiens de développement personnel, leurs démarches ne seraient en fin de compte que l’expression d’un réenchantement subjectif à défaut de pouvoir mener les nécessaires changements sociaux (Réquilé, 2008). Keyes apporte un éclairage sociologique nouveau sur le développement personnel en proposant un concept de bien-être social à 5 dimensions :
- L’intégration sociale
- L’acceptation sociale
- La contribution sociale
- L’actualisation sociale
- La cohérence sociale

De ce point de vue, le développement personnel ne peut être considéré comme abouti si la personne ne fonctionne pas pleinement dans la Société. Keyes (1998) a mis au point une échelle (version longue) de bien-être social qui peut également être mesuré par 5 items de son échelle MHC (Keyes, 2009).

Les concepts mixtes

Le développement personnel comme santé mentale complète De la même façon que Ryff a théorisé et opérationnalisé son construit de bien-être psychologique en intégrant plusieurs concepts fondamentaux relatifs au développement personnel, Keyes (2002, 2007) intègre dans un seul modèle, les deux construits eudémoniques de bien-être psychologique et de bien- être social avec le concept hédonique bien établi de bien-être subjectif. Il définit ainsi la pleine santé mentale, qu’il qualifie aussi d’épanouissement. D’une part, plusieurs recherches empiriques ont validé son échelle et d’autre part, ces recherches indiquent également que la santé mentale et la maladie mentale sont deux facteurs distincts mais assez fortement corrélés (Fry & Keyes, 2010 ; C. L. Keyes, Shmotkin, & Ryff, 2002 ; C. L. Keyes, et al., 2008 ; C. L. M. Keyes, 2009 ; Lamers, Westerhof, Bohlmeijer, ten Klooster, & Keyes, 2011).

Ce concept est mesuré par l’échelle MHC qui existe aussi bien en version longue qu’en version courte. Le développement personnel comme concept intégré d’épanouissement

Les différents auteurs cités auparavant apportent chacun(e) une perspective intéressante et enrichissante sur le développement personnel, sous l’angle de l’épanouissement. Ainsi, Keyes le définit comme santé mentale complète, à savoir la présence de sentiments positifs et de fonctionnement positif dans la vie individuelle comme dans la vie sociale. Afin de mieux distinguer et organiser les différents concepts, nous donnerons à cette forme d’épanouissement le qualificatif « d’épanouissement mental ». Fredrickson définit l’épanouissement comme l’expression d’un ratio de positivité supérieur à 3 : nous appellerons cela « épanouissement émotionnel ». Peterson (2006) et surtout Seligman (2002) considèrent que l’épanouissement consiste à s’appuyer sur ses principales forces dans la plupart de ses activités, ce qui correspond à « l’épanouissement des traits de caractères », lequel est également un moyen de faire l’expérience du flow au quotidien. Nous évoquerons dans ce second cas un « épanouissement dans l’action ».

Un de nos objectifs est d’examiner de quelle façon ces différentes conceptions de l’épanouissement sont reliées entre elles et d’explorer notamment si elles ne sont en fin de compte que l’expression d’un méta-concept, peut-être un construit d’ordre supérieur, qui rassemble de façon encore plus intégrée le concept de développement personnel ou à défaut, de proposer un modèle plus heuristique. [...] Cette recherche rencontre néanmoins plusieurs limites. D’un point de vue théorique, il reste à prendre en considération d’autres construits importants renvoyant directement au développement personnel tels celui de l’efficacité personnelle (Bandura, 1997), celui de l’auto-détermination (Deci & Ryan, 2002) ou celui de la sagesse (Baltes, Smith, & Staudinger, 1991 ; Baltes, Staudinger, Maercker, & Smith, 1995 ; Staudinger & Gluck, 2011). Approfondir ces modèles théoriques afin de réduire les chevauchements entre ces multiples concepts reste un travail à mener dans de futures recherches.


Source :
Jaotombo, F. et Brasseur, M. (2013). Le Développement Personnel. Quelles instrumentations pour la recherche et les pratiques ?, Cahiers de Recherche du CERIMES N°G2013-23 Mars 2013 http://www.cedag-gestion.com/upload...