Vers un système d’éducation plus inclusif en France ? (Charbonnier, 2015)

mercredi 1er juillet 2015
par  Jean Heutte
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Toutes les études convergent enfin pour montrer que les inégalités et les difficultés observées en France apparaissent dès l’école maternelle, pour ensuite s’accentuer jusque dans l’enseignement secondaire et tertiaire, et dans la progression des compétences tout au long de la vie

Depuis 40 ans, le niveau d’instruction de la population française s’est considérablement élevé, réelle avancée tant le diplôme est aujourd’hui fondamental pour l’insertion professionnelle. En comparaison internationale, le système d’éducation français est par ailleurs fondé sur des bases solides, depuis le préprimaire avec un taux de scolarisation élevé, jusqu’au niveau tertiaire avec un système de grandes écoles formant à l’excellence et des universités qui ont montré au cours des dernières années leur capacité à se réformer, à se moderniser et à élargir leurs filières d’excellence.

Néanmoins, le système d’éducation français rencontre des défis importants. Les résultats à l’enquête OCDE-PISA (OCDE, 2013a) sont moyens et montrent que le système est aujourd’hui tenu par ses bons élèves, dont la proportion est stable, et se dégrade par le bas, avec un échec scolaire qui atteint 20 %. Les inégalités dans le niveau de performance des élèves se sont creusées depuis 10 ans, alors même que l’insertion professionnelle des jeunes les moins qualifiés est toujours aussi difficile. Cette situation est d’autant plus inquiétante que l’une des leçons d’OCDE-PISA est que la capacité d’un système à faire progresser les élèves en difficulté améliore la qualité générale du système et donc sa performance globale.

L’enquête OCDE-PIAAC de 2013 sur l’évaluation des compétences des adultes (OCDE, 2013b) est aussi particulièrement décevante pour la France, avec des résultats en numératie et en littératie se situant parmi les plus bas des 24 pays participants, et des différences de compétences plus marquées que dans la moyenne des pays participants en fonction de la formation des individus, de leur origine sociale, et du fait qu’ils soient nés ou non en France (la progression des compétences avec la durée de résidence dans le pays est par ailleurs limitée).

Toutes les études convergent enfin pour montrer que les inégalités et les difficultés observées en France apparaissent dès l’école maternelle – où la scolarisation est pourtant quasi généralisée dès l’âge de 3 ans –, pour ensuite s’accentuer jusque dans l’enseignement secondaire et tertiaire, et dans la progression des compétences tout au long de la vie (Haut Conseil de l’Éducation, 2007 ; France Stratégie, 2015). Si la massification peut être incontestablement portée à l’actif du système d’éducation français, des processus de sélection étape par étape au cours du parcours scolaire d’une « élite » restreinte sont restés, ont resurgi, et se sont parfois même développés, modelant l’ensemble du système, mais laissant pour compte un trop grand nombre de jeunes mal formés, parfois sans diplôme, difficiles à embaucher, et par ailleurs relativement coûteux à l’embauche.

L’ensemble de ces résultats montre bien que les réformes pour assurer plus d’égalité dans le système d’éducation sont une condition indispensable pour maintenir la place de la France dans l’économie mondiale – à la frontière de la productivité et de l’innovation – et pour assurer la cohésion sociale. Toutes les études aujourd’hui notent en effet l’importance croissante, pour augmenter la productivité et donc la croissance potentielle, de filières d’excellence élargies, d’une formation et de compétences solides pour l’ensemble de la population, et donc de la nécessité d’éviter qu’une partie de la population ne se détache de la moyenne vers le bas. C’est l’enjeu principal actuel du système d’éducation français, même si des réformes dans d’autres domaines des politiques sociales et de formation pourront aussi faire la différence.  Dans ce contexte, la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 visant à lutter activement contre le décrochage et l’échec scolaire est la bienvenue. La mise en œuvre récente de nombreuses réformes qui en découlent dans le primaire et au collège pourrait ainsi répondre, en fonction des modalités de leur mise en œuvre, à certains enjeux actuels et participer à améliorer les résultats et la formation des élèves. D’autant plus que des réformes mises en place par d’autres pays de l’OCDE, se fixant elles aussi comme priorité la réduction des inégalités sociales, n’ont en aucun cas conduit à un nivellement par le bas des performances. Bien au contraire, la proportion d’élèves en échec scolaire a en général reculé en moins de 10 ans dans ces pays, alors même que celle des bons élèves a augmenté.

Les réformes actuelles vont dans la bonne direction et doivent être approfondies. Les enseignants joueront, comme dans d’autres pays avant la France, un rôle fondamental dans ces réformes. Ils doivent à ce titre s’en approprier les grandes lignes. Il conviendra donc de poursuivre la réforme du métier d’enseignant et d’en faire l’une des priorités de la rentrée prochaine. L’enquête OCDE-TALIS de 2013 sur les enseignants et les chefs d’établissement (OCDE, 2014a) montre en effet que les enseignants français se sentent moins bien préparés que leurs homologues des pays participants pour le volet pédagogique de leur métier, jugeant leur formation initiale trop académique, mais participant moins que leurs collègues des autres pays à des activités de formation continue. L’enquête OCDE- TALIS souligne également la faiblesse de la collaboration entre enseignants en France en comparaison avec les autres pays. Il est fondamental que se développent des pratiques formatives d’observation et de commentaires entre collègues au sein des établissements. Enfin, la professionnalisation croissante du métier passe par le renforcement de la fonction d’encadrement pédagogique au sein des établissements.

En outre, l’OCDE recommande que les réformes soient poursuivies autour des cinq grands axes suivants : i. Lutter contre l’échec scolaire dès l’école maternelle ; ii. Soutenir les élèves et les établissements défavorisés ; iii. Rehausser la qualité et la valorisation des filières professionnelles au lycée ; iv. Améliorer l’équité et l’efficacité dans l’enseignement supérieur ; et v. Assurer à chaque jeune une trajectoire sécurisée vers l’emploi.

L’objet de cette note n’est pas de faire un inventaire complet des atouts et des défis du système d’éducation français, mais, en mettant l’accent sur l’enjeu principal qui est celui de la réduction des inégalités, de proposer des mesures qui pourraient être mises en œuvre pour consolider la direction des réformes actuellement mises en œuvre.

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Principales recommandations

Continuer à améliorer la formation initiale et développer la formation continue des enseignants et chefs d’établissement du primaire et du secondaire

  • Continuer à renforcer les connaissances des enseignants sur le volet pédagogique du métier dans le cadre de leur formation initiale, et celles des chefs d’établissement sur l’encadrement pédagogique.
  • Développer l’accès à la formation continue pour les enseignants déjà en exercice (partiellement en cours) et la centrer davantage sur leurs besoins (pédagogie différenciée, travail en équipe, utilisation des nouvelles technologies dans les apprentissages, compétences relationnelles et sociales...).
  • Approfondir la réflexion sur le statut des enseignants (salaire, temps de travail, incitations pour travailler dans les établissements difficiles...).
  • Mettre en place un système d’évaluation de qualité qui soit reconnu par les enseignants et les chefs d’établissement.
  • Renforcer la capacité des enseignants à adopter une approche holistique des compétences et à développer également les compétences sociales et émotionnelles, y compris la communication non violente.
  • Soutenir les équipes de direction et les enseignants à travers la formation continue et les programmes de tutorat.

Lutter contre l’échec scolaire dès l’école maternelle

  • Continuer la politique visant à scolariser dès l’âge de 2 ans les enfants issus de milieux défavorisés et recentrer les programmes sur la définition et l’acquisition du socle commun des compétences.
  • Limiter le redoublement en allant vers une plus grande individualisation de l’enseignement.
  • Profiter des nouveaux rythmes scolaires (5 matinées d’école au lieu de 4 dans le primaire) pour augmenter le nombre d’heures consacrées à la pédagogie différenciée.
  • Continuer de renforcer les services d’orientation et de conseil aux élèves, et les cibler particulièrement sur les jeunes de milieux défavorisés, et donc plus susceptibles d’abandonner leurs études, pour les inciter à persévérer.

Soutenir les élèves et les établissements défavorisés

  • Créer des incitations pour amener des enseignants expérimentés à travailler dans les établissements défavorisés.
  • Renforcer les pouvoirs des chefs d’établissement, notamment en matière d’encadrement pédagogique, à commencer par ceux qui travaillent dans les établissements en zone sensible, et en assurant au préalable leur formation adéquate.
  • Dispenser une formation spécialisée permettant de doter les enseignants des compétences et connaissances nécessaires pour exercer auprès d’élèves défavorisés et/ou en difficulté. Encadrer les choix d’établissement de façon à prévenir la ségrégation et l’aggravation des inégalités.
  • Adapter les stratégies de financement aux besoins des élèves et des établissements d’enseignement.
  • Développer des stratégies pour nouer des liens entre l’école et les familles des élèves en difficulté.
  • Renforcer les politiques d’intégration par l’école des enfants immigrés ou issus de l’immigration, en particulier en ce qui concerne les compétences langagières.

Rehausser la qualité et la valorisation des filières professionnelles au lycée

  • Impliquer employeurs et syndicats dans l’élaboration des programmes des filières professionnelles et ne pas délaisser les compétences générales dans ces programmes (calcul, lecture et écriture), gages de mobilité dans le déroulement de la carrière.
  • Adapter et développer l’apprentissage pour mieux préparer les jeunes diplômés des filières professionnelles au monde du travail.
  • Réformer les services d’orientation professionnelle afin que tous les élèves puissent obtenir des conseils utiles et mettre à leur disposition des conseils et des services qui évoluent avec les changements du monde du travail.
  • S’assurer que les enseignants et les formateurs ont une solide expérience professionnelle et qu’ils ont reçu une préparation, notamment pédagogique.
  • Favoriser le travail à temps partiel en entreprise des formateurs et faciliter le recrutement de professionnels au sein du corps enseignant.

Améliorer l’équité et l’efficacité dans l’enseignement supérieur

  • Rééquilibrer le financement public des établissements en faveur des universités de façon budgétairement neutre.
  • Mettre en place une politique de frais d’inscription différenciés et modulés au regard des perspectives de rémunération offertes et de possibilités d’emplois sur le marché du travail après les formations, combinée à des aides publiques, afin de permettre d’accroître les ressources des universités ainsi que la participation des étudiants défavorisés.
  • Augmenter la participation des entreprises dans le financement des universités.
  • Poursuivre les initiatives pour lutter contre l’échec en licence en améliorant les dispositifs d’orientation entre le secondaire et l’enseignement supérieur.

Assurer à chaque jeune une trajectoire sécurisée vers l’emploi

  • Mieux intégrer les services sociaux avec l’éducation. Développer de manière ciblée les programmes de soutien en dehors de l’école. Offrir un nombre suffisant de « secondes chances » intégrant qualification, logement, accompagnement et aide financière.

Charbonnier, E. (2015) Vers un système d’éducation plus inclusif en France ? Point d’étape sur les enjeux en matière d’égalité du système d’éducation et sur les réformes en cours, Série « Poliques meilleures » France 2015 © OCDE 2015 http://www.oecd.org/fr/france/vers-...