Qu’est-ce que l’optimisme ? (Martin-Krumm, 2012)

lundi 1er septembre 2014
par  Jean Heutte
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On entend régulièrement dans les médias que les français sont optimistes ou qu’ils sont pessimistes. Fondant ses propos sur des données de Gallup International ayant réalisé une enquête dans 51 pays, le Parisien titrait le 23 décembre 2011 que les Français sont les plus pessimistes du monde. Mais qu’est-ce qu’une personne pessimiste ? Qu’une personne optimiste ? Est-ce que l’optimisme est l’absence de pessimisme ? Est il plutôt question d’équilibre entre les deux tendances ? L’optimisme ne présente t’il que des vertus ? Le pessimisme que des inconvénients ? Peut-on être optimiste ou pessimiste en fonction des contextes ? L’objectif ici est d’apporter des éléments de réponse à ces questions, en empruntant des arguments aux différents cadres théoriques de référence, selon que l’approche de l’optimisme sera directe ou indirecte.

De manière traditionnelle, être optimiste c’est être confiant dans l’issue positive d’un événement, alors que le pessimisme, c’est plutôt s’attendre au pire, d’où la nécessité, selon Chang (2001a), de bien faire la différence entre l’optimisme et les notions de contrôle interne, même s’il est probable qu’elles soient liées. Pour le Style Attributionnel, exemple de conception indirecte de l’optimisme qui sera développée ultérieurement, Peterson et Stunkard (1992) précisent qu’il s’agit d’un construit proche de celui de Locus Of Control (LOC) développé par Rotter (1966, voir Nicole Dubois, 1987 pour une revue). Les deux construits sont des variables de « personnalité », et portent sur les perceptions des individus relatives aux liens existants entre leurs comportements et les résultats. Toutefois, chaque construit possède des caractéristiques propres. Le LOC est plutôt une expectation (donc tourné vers le futur), alors que le style porte sur l’identification des causes à un ensemble d’événements passés. D’autre part, le style attributionnel différentie trois dimensions explicatives, et sépare les causes apportées aux événements positifs de celles formulées pour les événements négatifs ; précautions qui ne sont pas prises dans la théorie du LOC selon laquelle, lorsqu’un individu perçoit que les renforcements qu’il reçoit de l’environnement ne sont pas déterminés par une certaine action de sa part, il s’agit d’une croyance en un contrôle externe. Si au contraire, la personne considère que l’événement dépend de son propre comportement ou de ses caractéristiques personnelles relativement stables, nous disons qu’il s’agit d’une croyance en un contrôle interne (Rotter, 1966). Au même titre, le pessimisme ne doit pas être confondu avec le manque de contrôle ou l’effacement personnel (self-effacement, Chang, 2001a, p. 5). Par ailleurs, quand il est question d’optimisme ou de pessimisme, tout semble être affaire d’équilibre entre deux pôles qui seraient à l’opposé l’un de l’autre. De cet équilibre dépendrait la qualité de vie quotidienne des individus. L’un des objectifs de cet article sera de définir ce qu’est l’optimisme en fonction de différentes approches, de préciser ses conséquences sur différentes variables cognitives, affectives ou comportementales, et de montrer qu’aussi paradoxal que cela puisse sembler, il est possible d’être à la fois optimiste et pessimiste.

Un certain nombre de recherches ont mis en évidence une tendance des individus à plutôt s’attendre à des événements positifs qu’à des événements négatifs, comme s’il y avait un biais d’optimisme qui les poussait à « voir la vie en rose », biais d’optimisme pouvant aller jusqu’à un optimisme irréaliste (Sharot, 2011, pour une revue). Il est défini ici comme la croyance erronée selon laquelle les propres risques de la personne d’être confrontée à des problèmes sont inférieurs à ceux des autres personnes (Weinstein, 1980). Cette croyance doit se solder par une erreur pour être qualifiée d’optimisme irréaliste. A titre d’exemple, les individus s’attendent à vivre plus longtemps que la moyenne et ils sous-estiment les risques de divorce les concernant (Weinstein, 1980), ou surestiment leurs chances sur le marché de l’emploi (Hoch, 1984). Ces illusions positives, lorsqu’elles sont modérées, ont un impact bénéfique sur les comportements adaptatifs quant à l’atteinte de buts et ont un effet à la fois sur les santés mentale (Taylor & Brown, 1988) et physique (Scheier & Carver, 1987). Une étude récente révèle comment l’optimisme irréaliste est maintenu même lorsque la personne est confrontée à la réalité. Il y aurait notamment des différences dans l’encodage de l’information qui joueraient dans l’ajustement des croyances maintenant le niveau d’optimisme irréaliste (Sharot, Korn, & Dolan, 2011). Sous-estimer le risque d’être confronté à des événements négatifs peut avoir une fonction adaptative destinée à stimuler les comportements exploratoires de la personne. L’intérêt peut également être de réduire le stress et l’anxiété susceptibles d’être associés au fait de s’attendre à des événements négatifs (Sharot et al., 2011 ; Taylor et al., 2000 ; Varki, 2009).

On peut également considérer que l’optimisme est une variable de personnalité commune aux personnes, toutes la possédant mais à des degrés divers. Les travaux s’inscrivent alors dans le cadre d’une psychologie différentielle. On relève une certaine uniformité dans les résultats publiés. Ceux-ci mettent en évidence qu’invariablement, quel que soit le type de mesure, l’optimisme est associé à des caractéristiques désirables telles le bonheur, la persévérance, l’accomplissement et la santé (Peterson, 2000, p. 47), ou qu’il est l’un des facteurs protecteurs face aux troubles de l’adaptation (Southwick, Vythilingam, & Charney, 2005). Compte tenu du fait qu’il est associé à de nombreuses variables sans que les raisons de cette association soient expliquées, Peterson le qualifie de construit « velcro » sur lequel tout s’accroche (2000, p. 47). Dès lors il est possible d’envisager l’optimisme et le pessimisme sous différents angles, avec des conceptualisations variées sans qu’il y ait forcément de désaccords marqués entre les différents courants de recherche. Toutefois, c’est dans la mesure de ces variables que les différences sont plus flagrantes. En effet, c’est parce que les outils psychométriques s’appuient sur des cadres théoriques précis que des différences dans la mesure peuvent engendrer des différences significatives dans leur opérationnalisation. Par contre, des corrélations ou des tendances ont pu être observées dans les scores obtenus à différents questionnaires (Martin-Krumm, 2010), sur les styles (l’Echelle Sportive de Mesure du Style Attributionnel ; Martin-Krumm, 2010), le pessimisme défensif (Questionnaire de Présélection des Optimistes et des Pessimistes ; Pérès, 2001), et l’optimisme dispositionnel (LOT-R ; Sultan & Bureau, 1999). Pour Chang (2001a), d’un côté les multiples angles d’attaque sont une richesse pour comprendre ce qui peut se jouer avec cette variable, mais d’un autre côté, la mise en commun des données et la comparaison des résultats sont rendues plus problématiques. C’est la raison pour laquelle des outils de mesure seront rapidement présentés afin que les différences et les points communs puissent être mis en avant.

Si les contours de ce construit commencent à se dessiner, notamment quant à certaines vertus qui lui sont associées, il convient aussi de s’interroger sur la nature même de cette variable. Au quotidien, chacun d’entre nous vit des hauts et des bas. Ils peuvent autant survenir au cours de la journée que sur un plus long terme. Alors l’optimisme et le pessimisme relèvent-ils d’un trait de caractère ou d’un état plus labile ? Les travaux traitant spécifiquement de cette variable confirment sa stabilité, qu’ils s’inscrivent dans le cadre des conceptions directes comme l’optimisme dispositionnel, ou indirectes comme les modes explicatifs, conceptions qui seront développées dans la suite de cet article. Invariablement, la stabilité temporelle éprouvée par des procédures test-retest sont relevées (i.e., Trottier, Mageau, Trudel, & Halliwell, 2008 ; Dember & Brooks, 1989 ; Norem, 2001 ; Peterson, Semmel, Von Baeyer, Abramson, et al., 1982 ; Snyder, Harris, Anderson, Holleran, et al., 1991) confirmant par conséquent l’hypothèse développée selon laquelle avec l’optimisme et le pessimisme, on aurait effectivement affaire à des traits de caractère stables, ou à des dimensions de personnalité qui le seraient relativement (i.e., O’Connor & Cassidy, 2007, p. 597). Ces aspects seront toutefois également discutés ultérieurement.

De manière schématique, deux types de conceptions co-existent. Dans l’une, qualifiée de conception directe, l’optimisme et le pessimisme sont fondés directement sur les attentes de l’individu. Si celles-ci sont plutôt positives (e.g., Je crois en mes chances de réussite ; Quand je vis des moments difficiles, je pense toujours que cela va s’arranger) il sera considéré comme étant plutôt optimiste. Par contre, lorsque la valence est plutôt négative (e.g., Je pense surtout à la possibilité d’échouer ; En général, je pense que les choses vont mal tourner pour moi), alors il est plutôt considéré comme étant pessimiste.

Dans l’autre conception, qualifiée d’indirecte, l’optimisme et le pessimisme ne sont pas mesurés directement, mais par l’intermédiaire d’autres indicateurs. Le positionnement de l’individu dans l’une des deux catégories passe par exemple par la mesure de variables telles sa volonté à mobiliser ses ressources pour atteindre les buts qu’il se fixe et la confiance en les moyens qu’il pense avoir de les atteindre (e.g., Je cherche activement à atteindre mes buts ; Même quand les autres montrent des signes de découragement, je sais que je peux trouver une solution au problème), ou les attributions « trait » selon leur caractère interne ou externe, stable ou instable, général ou spécifique.

Ces différentes conceptions ont donné lieu à l’élaboration de cadres théoriques spécifiques et à des outils de mesures particuliers. L’objectif de cette analyse est donc de développer les conceptions directes de l’optimisme, plus particulièrement celle de Carver et Scheier, puis une conception indirecte, « la théorie des Styles Explicatifs » ou attributions « trait ». Les outils d’évaluation seront présentés, les relations avec des variables cognitives, affectives ou comportementales mises en évidence ainsi que les antécédents potentiels. Enfin, des limites et des perspectives de recherches seront proposées.


Source :
Martin-Krumm, C. (2012) L’optimisme : une analyse synthétique., Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 1/2012 (Numéro 93) , p. 103-133 http://www.cairn.info/revue-les-cah...


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