Intérêt et bien-être des élèves (Fenouillet, Chainon, Yennek, Masson & Heutte, 2017)

dimanche 30 avril 2017
par  Jean Heutte
popularité : 3%

Renninger et Hidi (2011) ont dénombré, à partir de la base PsycINFO, pas moins de 4 600 articles publiés entre 2000 et 2010 où le terme « intérêt » figure dans le résumé avec au moins comme mots-clés « motivation » et/ou « apprentissage ». À partir d’un échantillon considéré comme représentatif de ces études, ces auteurs ont pu repérer cinq conceptualisations contemporaines majeures de l’intérêt. Certaines conceptualisations ne sont pas en rapport avec l’intérêt scolaire (les intérêts professionnels) tandis que d’autres explorent principalement l’intérêt sous l’angle de l’émotion. Dans cette recherche allons considérer l’intérêt en lien avec l’apprentissage.

Pour Hidi et Renninger (2006 ; voir également Krapp, 2002, 2007) l’intérêt est vu comme étant à la fois un état psychologique et une prédisposition à se réengager dans une discipline spécifique se développant à travers l’interaction entre l’individu et son environnement dans le temps. Un élève intéressé par le français ou les mathématiques va apprendre de lui-même sur ces contenus sans même que l’enseignant mette en place toute autre forme de motivation. Il s’agit là d’ailleurs d’une autre caractéristique essentielle de l’intérêt. Lorsque l’élève est intéressé par ce qu’il fait, il le fait pour le plaisir de réaliser l’activité. Pour Deci (1992), l’intérêt peut à ce titre être considéré comme une figure centrale dans la famille des motivations intrinsèques. Pour Deci (1992) « les théories de la motivation humaine estiment que les individus sont intrinsèquement motivés lorsqu’ils font librement ce qui les intéresse » (p. 45, traduction libre). L’ensemble des facteurs qui ont pour effet de diminuer la motivation intrinsèque ont donc théoriquement un impact négatif sur l’intérêt (Deci & Ryan, 2002).

Cependant, si le concept de motivation intrinsèque et d’intérêt sont proches, ils ne doivent pas pour autant être totalement confondus. La motivation intrinsèque se réfère à toutes les activités susceptibles d’être réalisées pour le plaisir. En tant que concept lié à un objet spécifique, l’intérêt est sensible à certains aspects de l’objet qui focalisent l’attention et l’investissement de l’individu. Par exemple, lors de la lecture d’un texte, certains détails « séduisants » (Seductive details), ou « piquants » (Vividness) vont avoir pour effet d’augmenter l’intérêt (Schraw & Lehman, 2001). De même, une caractéristique essentielle de l’intérêt est sa persistance chez certaines personnes qui vont se passionner année après année pour une même thématique (comme l’astronomie ou l’informatique). C’est cette temporalité qui permet principalement de faire la différence entre deux formes d’intérêt. Alors que l’intérêt pour un texte persiste rarement au-delà de sa première lecture, celui pour un thème particulier peut durer la vie entière. La durée est donc l’un des critères qui a conduit différents auteurs à distinguer ces deux facettes de l’intérêt, à savoir l’intérêt individuel et l’intérêt situationnel (Krapp 2002, 2005 ; Schiefele 1991, 2009 ; Hidi, 1990).

L’intérêt situationnel est défini comme étant par nature transitoire et est spécifique au contexte dans lequel il est activé. Cette forme d’intérêt spontanée diminue plus ou moins rapidement et est toujours liée à l’environnement d’où il émerge. Dans le monde scolaire, l’enseignant passionné est en mesure de créer une situation qui peut intéresser les élèves. Cependant, cette forme d’intérêt, par essence transitoire, disparaît quand l’élève n’est plus en salle de cours. Si l’intérêt situationnel n’est pas dénué d’utilité, dans le monde scolaire c’est davantage la persistance et l’investissement de l’élève dans les différentes matières scolaires qui est valorisé et qui, pour les parents comme pour les enseignants, caractérise l’intérêt. Les chercheurs parlent dans ce cas plutôt d’intérêt individuel ou personnel.

Pour Ainley, Hidi et Berndorff (2002), l’intérêt individuel peut être spécifique soit à un domaine comme les matières scolaires (l’histoire ou les mathématiques par exemple), soit à une activité d’ordre culturel (par exemple la musique ou le football). En plus de ces deux formes d’intérêts spécifiques, il estime que les étudiants peuvent avoir un intérêt individuel plus général sur le fait d’apprendre. Dans ce cas, l’intérêt individuel général d’apprendre est considéré comme le désir d’acquérir de nouvelles informations ou d’en découvrir davantage sur de nouveaux objets.

Il existe différentes conceptions de l’intérêt individuel mais toutes estiment qu’il existe une composante émotionnelle. Dans le monde scolaire, l’intérêt individuel est généralement opérationnalisé en utilisant une terminologie liée à un historique de joie et de plaisir associé à une « thématique » (topic) donnée (Wigfield & Cambria, 2010). En plus de cette composante émotionnelle, les auteurs estiment également que l’intérêt individuel est associé à la valeur que peut avoir la thématique ou l’objet aux yeux de la personne (Hidi & Renninger, 2006 ; Krapp, 2002, 2005 ; Schiefele, 1991, 2009). Relation entre l’intérêt et le bien-être au collège et au lycée 85 Notre mesure de l’intérêt dans cette recherche va reposer sur cette conceptualisation de l’intérêt individuel. Nous allons donc proposer une mesure liée à l’intérêt pour une thématique donnée qui dans le monde scolaire s’incarne plus spécifiquement dans les disciplines qui sont enseignées. Nous nous sommes restreints à mesurer l’intérêt dans deux disciplines scolaires d’importance que sont le français et les mathématiques. De plus, comme Ainley et al. (2002) et Gottfried (1985, 1990), nous estimons qu’en plus de l’intérêt spécifique pour ces deux matières scolaires, il est possible de distinguer une forme d’intérêt plus global reposant sur l’intérêt d’apprendre à l’école en général. Cet intérêt envers l’école va être considéré sous l’angle d’un intérêt individuel pour apprendre, conformément à la conception d’Ainley et al. (2002).

DE L’INTÉRÊT AU BIEN-ÊTRE

Si, globalement, il existe une relation entre les motivations autodéterminées et le bien-être (Hortop, Wrosch, & Gagne, 2013), plusieurs recherches font état d’une relation similaire avec l’intérêt (Schiefele, 2009 ; Rania, Siri, Bagnasco, Aleo, & Sasso, 2014). Cette relation entre le bien-être et l’intérêt est d’ailleurs explicite dans certains items qui mesurent le bien-être scolaire puisque le terme intérêt y est directement utilisé. Dans l’échelle multidimensionnelle de Satisfaction de vie chez l’élève (Fenouillet, Heutte, Martin-Krumm, & Boniwell, 2015 ; Huebner, 1994), on trouve l’item « L’école est quelque chose d’intéressant », dans la Happiness Measure for School Children (Ivens, 2007) se trouve l’item « During the last week in school I was interested in working » ou encore dans la Student Subjective Wellbeing Questionnaire (Renshaw, Long, & Cook, 2015) nous avons l’item « I am really interested in the things i am doing at school ». Cette proximité entre les mesures de l’intérêt et du bien-être scolaire pourrait donc indiquer qu’un élève qui est heureux à l’école est nécessairement un élève intéressé par l’école. Cependant, d’autres échelles de bien-être scolaire n’utilisent pas explicitement le terme intérêt comme c’est le cas par exemple dans la Dutch and Finnish Children’s Satisfaction with Schooling (Randolph, Kangas, & Ruokamo, 2010).

Avant de pousser plus loin la réflexion sur la relation entre intérêt et bien-être, il semble donc opportun de définir ce qu’est le bien-être afin de mieux revenir ensuite sur le lien entre ces deux concepts. Tout d’abord, il est possible de constater qu’il existe différents termes qui peuvent être utilisés comme synonymes. Ainsi, en fonction des auteurs, il est possible de parler de bien-être, de bonheur, de qualité de vie ou de fonctionnement optimal (Bouffard, 1997 ; Ryff & Singer, 1998). Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons au bien-être dit subjectif en nous appuyant sur la conception de Diener (1984, 2000) qui a donné lieu à de nombreux outils de mesure largement utilisés au niveau international et dont certains ont bénéficié d’une traduction française (Shankland & Martin-Krumm, 2012). La conception d’un bien-être subjectif s’appuie sur l’idée que le bien-être ne repose pas seulement sur des critères comme l’âge, les revenus ou la santé qui sont relativement indépendants de l’évaluation de l’individu mais bien sûr l’appréciation que la personne fait subjectivement de son bien-être. Pour Diener (2000) « chaque individu fait également une évaluation plus large de sa vie dans son ensemble, ainsi que sur différents domaines de vie comme le mariage et le travail. Ainsi, il existe un certain nombre de composantes séparables du bien-être subjectif : la satisfaction de vie (jugements globaux sur sa vie), la satisfaction à l’égard de domaines importants (par exemple la satisfaction au travail), l’affect positif (éprouver de nombreuses émotions agréables et peu d’émotions désagréables) » (p. 34, traduction libre). Cette conception qui inscrit le bien-être dans un cadre hédonique (Kahneman, 1999) repose donc sur l’idée que l’individu cherche en permanence à maximiser le positif tout en minimisant le négatif. On comprend donc mieux comment s’inscrit le bien-être scolaire dans cette conception.

D’une part, le bien-être subjectif est lié à l’évaluation de la satisfaction sur différents domaines considérés comme important pour l’individu. Dans le cadre de cette conception, la satisfaction de vie peut être considérée comme hiérarchique, autrement dit les différents contextes contribuent à créer une satisfaction de vie plus globale. Cette conception multidimensionnelle et hiérar- chique de la satisfaction de vie se retrouve dans l’échelle multidimensionnelle de satisfaction de vie chez l’élève (Fenouillet et al., 2015 ; Huebner, 1994) ou la satisfaction scolaire n’est que l’un des domaines de vie. D’autre part, le bien-être subjectif repose sur des affects positifs et négatifs. De nombreux éléments liés à la pédagogie peuvent, au travers des émotions qu’ils génèrent, contribuer au bien-être de l’élève (Besançon, Fenouillet & Shankland, 2015). L’intérêt, qu’il soit lié à la situation ou aux thèmes scolaires, est considéré par de nombreux auteurs comme une émotion positive (Izard, 1991 ; Fredrickson, 1998 ; Silvia, 2001) et on peut donc considérer d’un point de vue théorique qu’il contribue directement au bien-être scolaire.


Source : _Fenouillet, F., Chainon, D., Yennek, N., Masson, J., & Heutte, J. (2017). Relation entre l’intérêt et le bien-être au collège et au lycée. Enfance 1, 81-103. ISSN : 1969-6981