Le rôle du comportement de la direction dans l’engagement professionnel des enseignants (Galand-Gillet, 2004)

 février 2005
par  Jean Heutte
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L’objectif principal de cette étude est d’examiner le poids respectif des caractéristiques de la fonction, du comportement de la direction tel qu’il est perçu par les enseignants et du soutien perçu de la part des collègues, dans la prédiction de la motivation au travail et de la satisfaction professionnelle des enseignants.

Les résultats indiquent que conformément à la théorie de l’auto-détermination, la perception de comportements soutenants, valorisants et coopératifs de la part de la direction favorisent le développement de la motivation et de la satisfaction professionnelle, tandis que la perceptions de comportements contrôlants, dénigrants et autoritaires favorisent la démotivation des enseignants. Le soutien perçu de la part des collègues est positivement associé à la motivation intrinsèque et à la satisfaction face au climat de travail. Il y a également un lien important entre type de motivation et niveau de satisfaction. De plus, le type de motivation au travail prédit l’absentéisme.

Mots-clés : Motivation - Satisfaction - Direction d’école - Leadership

Alors que de plus en plus de systèmes d’enseignement doivent faire face à une pénurie d’enseignants, la principale réponse des pouvoirs publics consiste le plus souvent à élargir la base de recrutement de la profession. Or, plusieurs recherches indiquent que la source du problème ne se situe pas tant dans le nombre de recrutements initiaux d’enseignants que dans le départ prématuré de nombreux enseignants qui quittent le métier (Ingersoll, 2001 ; Vandenberghe, 2000). Autrement dit, le problème tiendrait davantage à la motivation et à la satisfaction professionnelle, facteurs déterminants dans la décision de changer de travail (Meyer, 1997), qu’aux nombres de personnes initialement formées au métier d’enseignant. Un grand nombre de recherches indiquent en effet que plus une personne est motivée de façon intrinsèque (c.-à-d. par des éléments propres à la réalisation de son travail plutôt que par les bénéfices extérieurs qu’elle peut en retirer), plus elle persévère (Kroestner & Zuckerman, 1994), moins elle est sensible au stress (Boggiano, Shields, Barrett, Kellam, Thompson, Simons & Katz, 1992), moins elle s’absente de son travail (Blaise, Brière, Lachance, Riddle & Vallerand, 1993) et moins elle souhaite quitter son emploi (Meyer, 1997).

De plus, le type de motivation, entendu comme les raisons pour lesquelles un personne s’engage dans une activité, a également un effet sur le niveau de satisfaction que lui procure cette activité (Balise et al., 1993 ; Vallerand, Blais, Brière & Pelletier, 1989). Or, la satisfaction professionnelle est aussi un facteur déterminant dans la décision de changer d’emploi (Ingersoll, 2001 ; Shore & Martin, 1989).

D’autre part, les défis à relever par l’école et les réformes qui en découlent demandent souvent un engagement élevé de la part des enseignants. Ces changements nécessitent en effet une implication active des professionnels dans la définition du projet d’établissement, dans la mise en oeuvre des nouveaux programmes, dans l’appropriation de nouvelles méthodes pédagogiques, dans le travail collectif, dans la formation continue, etc. Ici encore, la motivation au travail des enseignants semble un élément crucial. Plusieurs études montrent que plus une personne est motivée par des raisons intrinsèques, plus elle s’investit activement dans son travail, plus elle se montre créative et plus elle fait preuve d’efficacité dans la résolution de problèmes (Deci & Ryan, 1987 ; Boggiano, Flink, Shields, Seelbach & Barrett, 1993).

D’autres recherches indiquent en outre que les enseignants qui exercent leur métier pour des raisons intrinsèques adoptent des comportements plus favorables à l’engagement scolaire de leurs élèves, autrement dit que la motivation des enseignants à une incidence sur la motivation des élèves (Flink, Boggiano & Barrett, 1990 ; Pelletier, Seguin, Levesque & Legault, 2002).

Si le niveau de motivation est un paramètre important, les recherches citées soulignent que le type de motivation est un paramètre autant sinon plus déterminant (Ryan, Sheldon, Kasser & Deci, 1996). Le fait d’être fortement motivé par des éléments propres à la réalisation d’une activité, comme le plaisir de l’exercer ou la satisfaction du travail bien fait, c.-à-d. d’être motivé de façon intrinsèque, est systématiquement associé à des conséquences positives. Par contre, le fait d’être fortement motivé par des éléments périphériques à la réalisation même d’une activité, comme les félicitations ou les bénéfices matériels que l’on peut en retirer, c.-à-d. d’être motivé de façon extrinsèque, n’est pas associé à des conséquences positives et entraîne parfois des effets négatifs. Bien sûr, il vaut cependant mieux être motivé de façon extrinsèque qu’amotivé, c.-à-d. sans motivation aucune (voir Gillet, 2001, pour une revue). Transposé à l’enseignement, cela signifie que les effets positifs mentionnés ci-dessus seront surtout associés au fait d’être professionnellement motivé (et satisfait) par le plaisir d’apprendre et de faire apprendre à des jeunes plutôt que par le statut social de la profession ou la quantité de congés.

Vu l’importance de la motivation professionnelle des enseignants face aux enjeux mentionnés ci-dessus, il paraît légitime de s’intéresser aux conditions de travail susceptibles de soutenir ou au contraire de nuire à celle-ci. On peut par exemple s’interroger sur le rôle de la sécurité d’emploi, du nombre d’établissements fréquentés, du nombre d’heures de cours, de la ou les filières d’enseignement, bref d’une série de variables liés à la gestion administrative des ressources humaines (Vandenberghe, 2000). Nombre de recherches suggèrent également que le style leadership pourrait jouer un rôle important (Andreissen & Dreuth, 1998 ; Masi & Cooke, 2000). Le comportement de la direction d’établissement paraît à cet égard particulièrement intéressant, dans un contexte d’autonomie accrue des établissements où cette direction est amenée à assumer un rôle d’interface entre les grandes orientations politiques et la gestion quotidienne (Leithwood, Menzies, Jantzi & Leithwood, 1996).

De nombreuses recherches en psychologie indiquent en effet que le contexte dans lequel se trouve une personne a un impact marqué sur ses motivations et sa satisfaction : plus ce contexte favorise l’autonomie, renforce le sentiment de compétence et offre du support social, plus la personne est motivée par ce qu’elle fait et ressent de la satisfaction par rapport à ce qu’elle fait (Cropanzano & Kacmar, 1995 ; Ryan & Deci, 2000b). Par ailleurs, plusieurs recherches soulignent l’influence qu’exerce le comportement de la direction d’un établissement sur le climat qui règne au sein de cet établissement (Brunot, Maduro & Corriveau, 1989 ; Charlot et Emin, 1997 ; Friedman, 1991). En croisant ces deux lignes de recherche, on peut se demander si la mesure dans laquelle le comportement de la direction favorise l’autonomie, renforce le sentiment de compétence et offre du support social, n’est pas un élément du contexte qui joue un rôle important dans la constitution d’un climat favorable à la motivation et la satisfaction professionnelles des enseignants (Deci, Spiegel, Ryan, Kroestner & Kauffman, 1982).

On peut également s’interroger sur le rôle joué par les relations avec les collègues (Van Dick & Wagner, 2001). Etant donné l’effet positif bien documenté du support social pour faire face aux situations stressantes (e.g. Sharpley, Dua, Reynolds & Acosta, 1995 ; Roy, Steptoe & Kirschbaum, 1998), on peut de fait penser que le soutien perçu de la part de ses pairs a un impact sur la motivation au travail et la satisfaction professionnelle des enseignants.

L’objectif principal de cette étude est d’examiner le poids respectif des caractéristiques de la fonction, du comportement de la direction tel qu’il est perçu par les enseignants et du soutien perçu de la part des collègues, dans la prédiction de la motivation au travail des enseignants. Il s’agit également d’examiner l’effet de l’ensemble de ces variables, y compris les motivations au travail, sur la satisfaction professionnelle des enseignants. Dans la ligne des approches actuelles concernant la motivation, qui considèrent qu’un même individu peut être guidé par des buts multiples et avoir plusieurs sources de satisfaction (Ryan & Deci, 2000a ; Nicholls, 1989), nous avons adopté une vision multidimensionnelle de la motivation et de la satisfaction professionnelle des enseignants.


Sources : _LE RÔLE DU COMPORTEMENT DE LA DIRECTION DANS L’ENGAGEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS Benoît Galand et Marie-Pierre Gillet (UCL) N° 26 ●JANVIER 2004● GROUPE INTERFACULTAIRE DE RECHERCHE SUR LES SYSTEMES D’EDUCATION ET DE FORMATION Place Montesquieu, 1 bte 14 - B-1348 Louvain-la-Neuve

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