Éducation et croissance : impact des technologies (Aghion,Cohen, 2004)
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Le lien entre éducation et croissance passe aussi par le progrès technologique
Développées au cours de ces quinze dernières années, les nouvelles théories
de la croissance(1) reposent sur quatre idées essentielles que l’on peut
résumer ainsi :
l’innovation et l’adaptation technologiques sont les moteurs de la croissance
de la productivité et par suite de la croissance à long terme d’un pays
ou d’un secteur de l’économie. Elles prennent la forme de nouveaux produits,
de nouveaux procédés de production, de nouvelles formes d’organisation
au sein des entreprises et des marchés ;
l’innovation et l’adaptation technologiques sont produites pour une
large part au sein des entreprises. Ces activités dépendent des incitations
entrepreneuriales à innover, elles-mêmes étant influencées par les politiques
et l’environnement économiques (politique des brevets et de la propriété
intellectuelle, subventions à la R&D, politique de la concurrence, offre de
travailleurs qualifiés, etc.) ;
l’idée schumpetérienne de « destruction créatrice » explique une large
part du phénomène de croissance de la productivité : toute innovation nouvelle
accélère l’obsolescence des technologies existantes ainsi que celle des
biens d’équipement et des qualifications associés à ces technologies. Par
conséquent, l’innovation contribue à augmenter les inégalités entre ceux qui
s’adaptent rapidement au progrès technique et ceux qui ne suivent pas ; en
particulier, elle tend en général à creuser les écarts de revenus entre travail
qualifié et travail non qualifié ;
le stock de capital humain conditionne l’aptitude d’un pays à innover
et/ou à rattraper les pays plus développés. Cette idée selon laquelle les
rendements de l’éducation se mesurent avant tout à l’aune du progrès technique
nous renvoie directement à l’article de Nelson et Phelps.
Les nouvelles théories de la croissance impliquent que les différences
observées, à la fois en niveaux de PIB par tête et en taux de croissance de
la productivité (à court et moyen termes) d’un pays à l’autre, sont largement
dues à des différences dans les systèmes et politiques de R&D et également
aux différences entre les systèmes éducatifs dans la mesure où ces
systèmes conditionnent l’offre de travail qualifié capable d’engendrer du
progrès technique.
L’éducation et la recherche sont facteurs de croissance dans tous les
pays quel que soit leur niveau de développement technologique(2) :
dans les pays proches de la frontière technologique, l’éducation augmente
l’offre de chercheurs ou développeurs potentiels, et par suite réduit le
coût de la R&D ; par conséquent elle est de nature à renforcer les effets
incitatifs de toute politique directe de subvention à la R&D sur l’innovation ;
dans les pays ou secteurs moins développés technologiquement, l’éducation
et la R&D facilitent l’adoption de nouvelles technologies introduites
auparavant dans les pays plus avancés et leur adaptation aux situations géographiques
et économiques locales (ce qui est en soi une innovation), permettant
ainsi d’atteindre un niveau plus élevé de productivité des facteurs.
Un exemple illustratif du rôle de l’éducation et de la recherche dans la diffusion technologique est celui de la « révolution verte » ; partant d’une innovation fondamentale dans le domaine de l’hybridation des graines végétales, les pays en voie de développement les mieux dotés en travailleurs hautement qualifiés, en équipements de recherche et en universités, ont été les mieux à même de produire de nouvelles qualités de riz, blé, adaptées aux conditions locales.
Cette complémentarité entre éducation et progrès technique, a d’importantes
implications concrètes pour la politique économique. En particulier
elle suggère qu’une bonne politique de croissance passe à la fois par :
des subventions à la R&D ou à l’équipement de laboratoires utilisés
prioritairement par les entreprises innovantes ;
une politique adaptée des droits de propriété sur l’innovation ;
une amélioration de la qualité du système éducatif ;
une réduction des rigidités qui peuvent exister entre le côté offre et le
côté demande du marché du travail qualifié, notamment en fournissant une
meilleure information aux entreprises sur l’offre de travail qualifié et aux
chercheurs techniciens sur l’évolution des secteurs innovants.
Davantage d’activités innovatrices et de débouchés dans le secteur de la R&D sont de nature à encourager un plus grand effort d’éducation et de qualification de la part des jeunes générations. Inversement, une meilleure offre de travail qualifié incite les entreprises à investir davantage en R&D, comme le montrent très bien nombre d’études empiriques, notamment l’article de Scherer et Huh (1992). À partir d’un échantillon de données concernant 221 entreprises américaines sur la période 1970-1985, cette étude met en évidence l’existence d’une corrélation positive significative entre le niveau d’éducation technique des cadres supérieurs et les dépenses en R&D des entreprises concernées.
(1) Cf. Romer (1990) et Aghion et Howitt (1992 et 1998).
(2) D’autres éléments influent également sur la capacité d’adaptation technologique : les échanges commerciaux ainsi que les investissements directs ( « FDI ») en provenance de pays ou secteurs plus avancés.
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source :
Éducation et croissance, Philippe Aghion et Élie Cohen (La documentation française, 2004)