Former les enseignants : en finir une fois pour toute avec le modèle consécutif (Charbonnier, 2013)

lundi 1er avril 2013
par  Jean Heutte
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Les pays performants dans les évaluations internationales, tout comme les pays qui ont reformé en profondeur leur système d’éducation ces dernières années, ont tous mis la formation des enseignants au cœur de leurs préoccupations. S’agissant de la France, il ne faudra pas oublier que la mise en place des nouveaux rythmes scolaires est juste un ingrédient susceptible de contribuer au succès de la réforme, mais qui ne portera ses fruits que si les enseignants sont formés et préparés à utiliser cette nouvelle répartition du temps scolaire pour introduire davantage d’individualisation dans leur enseignement et faire ainsi face à l’échec scolaire grandissant.

Les enjeux principaux de la réforme peuvent se résumer en 4 objectifs à l’aune desquels il sera possible mesurer sa réussite : le premier, « attirer » les étudiants vers le métier d’enseignant ; le deuxième, mieux les « former » ; le troisième, « accompagner » les nouveaux enseignants en début de carrière ; et enfin, le quatrième et dernier défi, les « retenir » dans ce métier en leur proposant des évolutions de carrière, mais aussi en leur donnant accès à la formation continue.

Susciter des vocations : comment attirer les étudiants vers le métier d’enseignant

« Attirer » tout d’abord, attirer les bons étudiants vers ce métier, ou du moins ceux qui ont les meilleures compétences pour devenir enseignant : voilà, à l’évidence, un élément essentiel. L’actualité est malheureusement plutôt à la crise des vocations en France et dans de nombreux pays européens, alors que dans le même temps, il y a en Finlande 10 candidats pour un poste d’enseignant, et qu’à Singapour et en Corée, les élèves se bousculent pour s’inscrire dans les filières préparant au métier d’enseignant, permettant ainsi aux universités de sélectionner les candidats parmi ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats (sur la base des examens du secondaire).

Pour Singapour et la Corée, l’aspect financier peut certes également peser dans le choix du métier d’enseignant, mais la valorisation de la profession par les autorités du pays, et la reconnaissance qu’elle suscite au sein de la société, sont des leviers tout aussi importants dans le choix des étudiants, aspect particulièrement négligé ces dernières années en France.

Il paraît donc indispensable de valoriser ce métier pour le rendre plus attractif et des exemples récents montrent qu’il est possible d’y parvenir en peu de temps. Le Royaume-Uni a ainsi lancé en 1997 une campagne de recrutement nationale pour faire face à l’importante pénurie d’enseignants observée à la fin des années 80. Cette campagne s’articulait autour de deux axes : la mise en avant de l’importance du rôle des enseignants dans la société et l’adoption d’une stratégie de profilage valorisant autant dans la sélection des candidats leurs compétences académiques que leur motivation, évaluée par des entretiens individuels. Cette même campagne soulignait l’aspect évolutif du métier d’enseignant et s’accompagnait de la mise en place de passerelles pour permettre aux futurs enseignants de voir leur statut évoluer au fur et à mesure de l’avancement de leur carrière, leur donnant la possibilité, s’ils le souhaitaient, de s’orienter vers un autre type de métier.

Bilan : en 1997, avant cette campagne, on comptait moins de 28 000 candidats enseignants pour 35 000 postes à pourvoir ; 4 ans après, ils étaient plus de 40 000.

Attirer, c’est donc possible, même s’il faut reconnaître que la conjoncture économique actuelle est plus délicate qu’au début des années 2000. Par ailleurs, le levier financier n’est pas indispensable en soi, même s’il doit entrer dans la réflexion en France, notamment concernant les futurs enseignants du primaire ou les incitations financières pour les postes dans les établissements difficiles.

Former les enseignants : en finir une fois pour toute avec le modèle consécutif

Deuxième élément clé de la réussite : avoir une formation de qualité qui mêle apprentissage des savoirs et du savoir-faire, une formation qui devra également évoluer au fil du temps pour faire face aux changements qui s’opèrent dans la société et aux nouveaux enjeux qui en découlent.

Disons-le clairement : pour cela, il est nécessaire en France d’en finir une bonne fois pour toute avec le modèle consécutif, où la formation pédagogique n’intervient qu’une fois la formation initiale terminée.

Ce modèle est quasiment obsolète et très minoritaire en Europe, où seules l’Espagne, l’Italie et la France l’appliquent pour former les enseignants du secondaire, mais également minoritaire dans les autres pays de l’OCDE. Cette approche présente deux inconvénients majeurs : la décision de rejoindre l’enseignement est de facto prise plus tard, après l’obtention du diplôme universitaire ; mais surtout, une partie des candidats au métier d’enseignant sont éliminés directement aux épreuves d’admissibilité, avant même d’avoir été évalués sur la partie pédagogique du métier.

La plupart des pays ont aujourd’hui adopté un modèle dit « simultané », avec alternance de formations disciplinaires et professionnelles. Dans ce modèle, la décision de devenir enseignant est prise plus tôt et le volet pratique a beaucoup plus de poids dans la formation. Ainsi, en Finlande, les futurs enseignants doivent accomplir dès leur première année de formation des périodes de stage, en passant graduellement, sous la supervision d’un enseignant chevronné, de l’observation à la pratique accompagnée. Ces stages sont toujours mis en relation avec un apport théorique, ce qui habitue les futurs enseignants à adopter un regard critique sur leur pratique.

À l’instar de la Finlande, l’Allemagne a récemment renforcé cet aspect pratique et inclus dans les programmes de formation de ses enseignants des modules où les futurs enseignants apprennent dès les première années de formation à cibler les problèmes spécifiques des élèves en difficulté, à établir des diagnostics et à utiliser des méthodes différenciées pour y remédier.

Accompagner les enseignants durant les premières années de leur carrière

Une formation initiale de qualité est essentielle, et ceci implique également une réflexion sur la formation des formateurs. Mais permettre aux enseignants d’être soutenus lors de leur entrée dans la profession est tout aussi déterminant. À ce titre, l’Enquête internationale sur les enseignants, l’enseignement et l’apprentissage (TALIS) met en évidence qu’un tiers des nouveaux enseignants dans les pays de l’OCDE estiment avoir un besoin élevé de formation professionnelle pour les aider à gérer la discipline et les problèmes de comportement au sein de leur classe.

L’accompagnement des jeunes enseignants est donc primordial. C’est l’approche adoptée par l’Allemagne, où les jeunes enseignants sont désormais accompagnés lorsqu’ils terminent leur formation et commencent à enseigner. Ils doivent tout d’abord être étroitement supervisés pendant un ou deux ans en fonction des Länder où ils exercent. Au cours de cette période, l’enseignant débutant doit généralement bénéficier d’une charge de travail réduite, être suivi de près par des enseignants expérimentés et poursuivre sa formation.

D’autres bonnes pratiques ont attiré l’attention des participants en 2011 lors du premier Sommet international de l’OCDE sur la profession enseignante (http://www.oecd-ilibrary.org/education/building-a-high-quality-teaching-profession_9789264113046-en).

Parmi celles-ci, citons : la possibilité donnée aux jeunes enseignants dans certains pays de retourner à l’université pour parfaire leurs connaissances sur des cas pratiques ; l’utilisation du numérique permettant aux enseignants de partager via Internet les méthodes pédagogiques innovantes ; et enfin, l’organisation de séminaires entre enseignants pour mettre en commun leurs méthodes pédagogiques et échanger sur des études de cas.

En France, accompagner les jeunes enseignants, c’est aussi repenser leur première affectation et leurs conditions de travail au début de la carrière. Cela signifie en d’autres termes qu’il faudrait créer des incitations pour attirer des enseignants expérimentés vers les postes des établissements défavorisés et permettre ainsi aux jeunes enseignants de se sentir plus épaulés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Retenir les enseignants : redonner toute sa place à la formation continue et aux passerelles pour évoluer tout au long de la carrière

Il s’agit vraiment d’un message fort du colloque de l’OCDE du 18 mars. De nombreux participants l’ont souligné, tout comme le Secrétaire général de l’OCDE, M. Gurría, dans son discours de clôture : « La formation professionnelle continue a autant d’importance, si ce n’est plus parfois, que la formation initiale dans le succès d’un système d’éducation. »

Le métier d’enseignant évolue et les enseignants doivent disposer des moyens de se perfectionner pour utiliser de nouveaux supports et tirer profit des avancées technologiques, notamment du numérique, dans l’apprentissage. En outre, il est aussi important pour eux de développer leurs compétences sur de nouvelles pratiques pédagogiques qui leur permettront de faire face à des classes de plus en plus hétérogènes. À titre indicatif, à Singapour, chaque enseignant est évalué annuellement sur ses forces et faiblesses, et bénéficie de 100 heures de formation professionnelle par an pour lui permettre de s’améliorer. Par opposition, l’étude TALIS révèle qu’en moyenne, dans les pays de l’OCDE participants, 20 % des nouveaux enseignants et 13 % des enseignants expérimentés n’ont jamais reçu de retour sur leur enseignement.

Dernier point, outre le développement de la formation continue, il est également primordial de permettre aux enseignants, à mesure que leur carrière avance, de pouvoir s’impliquer progressivement dans des activités autres que l’enseignement. Au Québec, les enseignants peuvent ainsi devenir assistants de recherche auprès des universités. Au Portugal, en Grèce et en Islande, les enseignants expérimentés ont la possibilité de réduire leur temps d’enseignement pour se consacrer à d’autres tâches, telles que le tutorat.

Des progrès rapides sont possibles

Formation initiale, formation continue, le succès de la réforme passera par des améliorations significatives en France dans ces deux domaines. Les exemples internationaux montrent qu’il est possible de faire des progrès rapides quand les réformes sont bien ciblées, et surtout qu’elles continuent de porter leurs fruits à moyen et long termes, notamment lorsqu’elles touchent la formation des enseignants.

Le colloque de l’OCDE a également montré que même si syndicats et gouvernements peuvent être en désaccord sur bien des aspects, la réussite passe souvent par un travail de concert sur ces questions. À ce titre, l’exemple de la Norvège est éloquent : en 2008, le gouvernement et les syndicats norvégiens, s’accordant sur certaines insuffisances de la formation continue et des évolutions de carrière proposées aux enseignants, ont travaillé ensemble pour mettre en valeur les compétences des enseignants et instaurer différentes mesures visant à accroître les performances du système de formation continue.


Sources :
Charbonnier, E. (2013) Les enjeux de la formation des enseignants : attirer, former, accompagner et retenir Le Blog d’Éric Charbonnier, expert d’éducation à l’OCDE, 5 avril 2013 http://educationdechiffree.blog.lem...

OCDE (2013) Perspectives internationales sur la professionnalisation de la formation des enseignants Colloque international de l’OCDE, Paris, lundi 18 mars 2013 http://www.oecd.org/fr/edu/scolaire/enseigner.htm