La perception de compétence (Barbeau, Montigni, Roy)

 octobre 2004
par  Jean Heutte
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Comment favoriser la perception de sa compétence à acquérir et à utiliser des connaissances ?

La perception de sa compétence influence de diverses façons le comportement (Bandura, 1986, Meyer, 1987 ; Schunk, 1989). Wood et Bandura (1989) ont démontré que la perception de sa compétence influence l’intensité de l’effort fourni ainsi que la qualité, l’efficacité de cet effort. Les personnes qui se perçoivent compétentes manifestent une plus grande efficacité dans l’analyse de problèmes que celles qui doutent de leurs capacités. Ces dernières, confrontées à des problèmes complexes, présentent des structures d’analyse confuses et inefficaces. Tardif (1992), Marzano et al. (1992) et Gagné (1985) offrent d’intéressantes pistes d’intervention pouvant favoriser une meilleure perception de sa compétence à acquérir et à utiliser des connaissances théoriques (aussi nommées connaissances déclaratives) et des connaissances pratiques (nommées également connaissances procédurales et conditionnelles).

Tenir compte des caractéristiques de la mémoire

Selon Gagné (1985) et Tardif (1992), le traitement de l’information s’effectue dans la mémoire. Celle-ci est en effet le " lieu mental " où se construisent les savoirs de l’élève, que ces savoirs soient théoriques ou pratiques. C’est dans la mémoire que passent toutes les décisions que prend un élève - décisions cognitives, affectives, motrices, sociales. La mémoire est vraiment comme un centre de traitement de l’information. " Elle reçoit , simultanément, une multitude d’informations de l’environnement et elle doit filtrer ces informations de sorte qu’elles puissent être traitées et utilisées " (Tardif, 1992, p.158). Si un élève a la perception d’être compétent pour acquérir et pour utiliser de nouvelles connaissances, si un élève a la perception de pouvoir relier ses nouvelles connaissances à celles qu’il possède déjà, s’il a la perception d’être capable d’utiliser des connaissances acquises antérieurement dans de nouvelles situations d’apprentissage, c’est qu’il a la perception d’être capable de traiter efficacement l’information avec laquelle il est en contact. Pour traiter efficacement l’information, il faut tenir compte, consciemment ou non, du fonctionnement et des caractéristiques de la mémoire.

Gagné et Tardif affirment que l’environnement scolaire est le point de départ de l’information qui accède à la mémoire. Si l’information n’a pas de sens pour l’élève, elle est rejetée. Il est donc fondamental, selon ces auteurs et Glover et al. (1990), d’attribuer une signification aux stimuli de l’environnement si on veut qu’un apprentissage se produise. Les connaissances antérieures d’un élève permettent de donner un sens aux stimuli de l’environnement, d’où l’importance pour un professeur de montrer à l’élève où diriger ses récepteurs sensoriels et de faire référence à ses connaissances antérieures. Il faut par conséquent que les professeurs enseignent à l’élève à éliminer de façon sécuritaire les informations non essentielles et à centrer ses récepteurs sur l’information qui a du sens.

Il faut donc que le professeur enseigne à l’élève à donner une signification aux stimuli présentés. Il faut également, selon eux, tenir compte dans l’enseignement des caractéristiques de la mémoire de travail et de la mémoire à long terme et aider l’élève à utiliser le mieux possible les capacités de sa mémoire à court terme. Une façon d’utiliser au mieux sa mémoire de travail et sa mémoire à long terme consiste à relier la nouvelle information à du connu, à faire des liens entre les diverses connaissances de l’élève. C’est seulement de cette façon que les connaissances pourront être transférées d’une situation à une autre. Tardif (1992) rappelle : " Un des rôles fondamentaux de l’école est de développer des connaissances que la personne peut généraliser " (p. 176). Cet auteur affirme que le regroupement et l’organisation des connaissances, par réseau sémantique ou autre, est toujours un excellent moyen de contrecarrer les limites de la mémoire de travail et d’aider à la construction du savoir de l’élève.

Utiliser des stratégies d’intervention pédagogique différentes, selon le type de connaissance

La psychologie cognitive reconnaît généralement trois catégories de connaissances : les connaissances déclaratives (ou théoriques), les connaissances procédurales (ou pratiques) et les connaissances conditionnelles (permettant de reconnaître les contextes dans lesquels s’appliquent les procédures). Ces trois catégories interagissent dans l’apprentissage et dans la performance. Bien qu’elles soient interdépendantes, elles demeurent distinctes. En effet, chaque catégorie de connaissances est apprise de façon différente et est représentée d’une façon précise dans la mémoire à long terme, ce qui nécessite, selon Marzano et al. (1992), Tardif (1992, 1995) et Gagné (1985) des stratégies d’enseignement particulières. Il devient donc important pour le professeur de se demander, avant de planifier un cours, quelle catégorie de connaissances il veut faire acquérir, et de réfléchir aux divers moyens pédagogiques pouvant en favoriser l’apprentissage et planifier son enseignement en conséquence. Le professeur qui utilise des stratégies d’intervention pédagogique différentes contribue directement, selon Tardif (1992), à l’intégration des connaissances dans la mémoire à long terme.

Selon Marzano et ses collaborateurs (1992), l’apprentissage des connaissances théoriques (déclaratives) se fait en trois phases : la construction du sens, l’organisation de l’information et l’emmagasinage de l’information. On peut faciliter la construction du sens en utilisant l’analogie, l’exemple, la paraphrase, le rappel des connaissances antérieures, etc. bref, en multipliant les voies d’accès à l’information. Il est important affirme Tardif (1992) que le professeur organise les connaissances avec l’élève " puisque c’est l’organisation des connaissances dans la mémoire à long terme qui est une des caractéristiques qui distinguent toujours, peu importe le champ d’activités, les experts des novives, les personnes qui réussissent de celles qui échouent " (p. 338). Pour lui, " Le professeur doit intervenir directement et implicitement dans l’organisation des connaissances " (p. 342) puisque c’est lui l’expert, c’est lui qui connaît l’ensemble des informations et les liens qu’elles ont les unes avec les autres. L’emmagasinage de l’information, quant à lui, peut être facilité en imaginant l’information dans une représentation mentale, en l’associant à des sensations physiques ou à des émotions, etc.

Les connaissances pratiques (procédurales et conditionnelles) s’apprennent également en trois phases : la construction du modèle, la structuration du modèle et l’intériorisation ou automatisation du modèle. Tardif (1992) rappelle que dans toute connaissance procédurale, il y a nécessairement des éléments qui sont préalables à d’autres. Donc, le professeur doit toujours vérifier si les connaissances préalables sont acquises, sinon il est confronté à un manque qu’il doit absolument combler. De plus, il ne faut pas oublier, affirme-t-il, que " l’acquisition d’une connaissance procédurale ne peut s’effectuer que dans l’action et par celle-ci " (p. 363).

Le professeur doit utiliser, selon Marzano et al. (1992) et Tardif (1992), des stratégies pédagogiques qui favorisent l’atteinte des trois phases tant des connaissances théoriques que des connaissances pratiques. Ils en proposent un certain nombre tel que l’utilisation de l’exemple et du contre-exemple, la représentation graphique de l’information, l’utilisation de moyens de mémorisation, l’utilisation de procéduriers, le modelage, l’utilisation d’horaires de pratique, etc.

Permettre à l’élève d’élargir et de raffiner ses connaissances

Marzano et ses collaborateurs (1992) affirment que le professeur qui veut développer chez l’élève un sentiment de compétence scolaire doit favoriser chez ce dernier l’élargissement et le raffinement de ses connaissances. Selon ces auteurs, élargir et raffiner ses connaissances ne fait pas partie de l’acquisition initiale d’une connaissance, c’est une étape supérieure de l’apprentissage qui requiert huit opérations mentales : la comparaison, la classification, l’induction, la déduction, l’analyse d’erreurs, la construction d’un modèle, l’abstraction et l’analyse en perspective. Au niveau collégial, l’élargissement et le raffinement des connaissances ne devraient-ils pas faire partie de tout enseignement ?

Comment favoriser la perception de l’importance des tâches à réaliser à l’école ?

Maehrs (1984) croit qu’une façon d’aider l’élève à accorder de l’importance à une tâche est de lui offrir l’occasion de donner un sens à cette tâche. Il serait donc important de montrer l’importance des tâches dans l’immédiat, mais il est utile également de percevoir l’importance des tâches scolaires pour le futur, de percevoir le lien entre l’actualisation de soi, l’avancement social et la formation scolaire (Marzano et al., 1992). Parent et al. (1996) vont dans le même sens et affirment que le professeur " doit donner un sens au travail demandé aux élèves en leur expliquant les objectifs visés. " (p. 47). Un deuxième élément est fondamental dans la perception de l’importance des tâches à réaliser à l’école : l’apprentissage à réaliser doit offrir un défi à l’élève. Si la tâche n’offre aucun défi à l’élève, elle peut lui apparaître comme peu importante.

Rendre l’apprentissage signifiant pour l’élève

L’élève acquiert plus facilement des connaissances s’il peut les utiliser dans sa vie de tous les jours ou s’il voit la possibilité de les utiliser dans sa vie. Rendre les connaissances " signifiantes " permet à l’élève de faire le lien entre l’apprentissage scolaire et la vraie vie. Selon Marzano et ses collaborateurs (1992), il y a cinq types de tâches qui peuvent être utilisées dans l’enseignement et qui permettent aux élèves de donner un sens à leurs apprentissages : le processus de prise de décision, l’approche utilisée dans l’étude d’un phénomène, la démarche scientifique, la résolution de problème, l’invention. Reprenons brièvement ces cinq tâches et la façon de les utiliser pour favoriser la motivation scolaire des élèves.

Le processus de prise de décision

Selon Marzano et al. (1992) prendre des décisions est un phénomène courant dans l’enseignement et l’apprentissage. Effectivement, tout au long de sa vie d’enseignant, le professeur a des décisions à prendre. Certaines se rapportent directement à son enseignement (quels thèmes privilégier, quelles méthodes pédagogiques utiliser pour bien faire comprendre une notion, quelle procédure suivre, etc.), d’autres ont trait à la gestion de sa classe (combien de temps consacrer à un concept, etc.). Les élèves ont également des décisions à prendre (quelle méthode est plus appropriée pour résoudre ce problème, quel sujet choisir pour ce travail de fin de session, etc.). Les conséquences de ces décisions peuvent être déterminantes autant pour l’enseignement du professeur que pour l’apprentissage des élèves d’où l’importance d’enseigner et d’utiliser une méthode de prise de décision dans l’enseignement.

L’approche utilisée dans l’étude d’un phénomène

Marzano et al. (1992) retiennent trois grandes approches pour étudier un phénomène : l’approche historique, l’approche conceptuelle et l’approche projective. Ces auteurs croient que les appliquer de façon systématique aux connaissances que le professeur enseigne ne peut qu’être bénéfique à l’apprentissage de l’élève en multipliant les angles par lesquels il peut envisager la connaissance nouvelle, la rattacher à des connaissances qu’il possède déjà, en comprendre le sens et s’y intéresser.

L’approche historique questionne le passé d’un phénomène. Elle s’intéresse à l’état antérieur des choses. Dans cette approche, le professeur et les élèves tentent de répondre à des questions comme : Comment était tel phénomène ou quel était l’état de nos connaissances sur ce phénomène avant le moment que nous considérons ? Comment ce phénomène est-il arrivé ? Pourquoi s’est-il produit ? L’approche conceptuelle décrit le phénomène qu’on veut traiter ou étudier. Elle se centre sur le moment actuel d’un phénomène. Par cette approche, le professeur et les élèves tentent de répondre à des questions comme : Quelles sont les caractéristiques actuelles de... ? Quelles sont les particularités de... ?, etc. L’approche projective, quant à elle, essaie de prédire ce qu’il pourrait advenir si telle ou telle donnée intervenait dans un phénomène. Elle se centre sur l’anticipation d’un état à venir. Cette approche tente de répondre à des questions comme : Qu’arriverait-il si... ?

La démarche scientifique

La démarche scientifique est un des moyens qui peuvent être utilisés pour stimuler l’intérêt des élèves pour la matière à apprendre (Marzano et al., 1992). C’est une approche raisonnée, structurée des différents phénomènes que les élèves ont à étudier. Elle s’attaque aux questions auxquelles il est possible de trouver une réponse vérifiable. Elle peut donc être appliquée à la résolution de problèmes variés, aussi bien dans un grand nombre de disciplines de l’enseignement collégial que dans la vie quotidienne.

La résolution de problèmes

Enseigner par résolution de problèmes, c’est mettre l’accent, selon VanderStoep et Seifert (1994), Tardif (1992) et Marzano et al. (1992), sur l’acquisition et le traitement des connaissances plutôt que sur leur transmission et leur mémorisation. C’est, selon ces auteurs, rendre l’enseignement signifiant. Ils affirment que proposer aux élèves des problèmes qui leur demandent de mettre en relation de nouvelles connaissances avec des connaissances familières, qui leur demandent d’être actifs dans le traitement de l’information qu’ils reçoivent est une façon de les impliquer dans leurs études. Plus l’enseignement permettra aux élèves de comprendre des situations réelles et complexes et d’utiliser le plus rapidement possible, dans des contextes variés, les connaissances qu’ils acquièrent, plus les élèves trouveront du sens à ce qu’il leur est demandé d’apprendre (Tardif, 1992). Cet auteur affirme que l’utilisation de la résolution de problèmes est la pierre angulaire de l’enseignement et de l’apprentissage. Elle facilite l’acquisition, l’intégration et le transfert des connaissances. Le transfert de connaissances d’une situation à une autre, d’un contexte à un autre est l’orientation principale de cette méthode (VanderStoep et Seifert, 1994). Celle-ci n’aidera peut-être pas tous les élèves à résoudre tous leurs problèmes en lecture, en mathématiques ou en philosophie, car le transfert implique une pratique répétée dans divers contextes. Cependant, l’application de la méthode favorisera une meilleure compréhension de leurs problèmes. Placer les élèves dans des situations qui leur posent effectivement problème favorise l’intégration de l’apprentissage à la " vraie vie ". Utiliser la même procédure d’une situation à l’autre, axer l’enseignement sur le traitement des connaissances et les appliquer rigoureusement à divers contextes accélèrent le transfert de cet apprentissage d’un domaine à un autre.

L’invention

L’invention est, selon Marzano et al. (1992), un autre moyen de rendre l’apprentissage intéressant et signifiant. L’invention consiste à créer quelque chose de nouveau pour répondre à un besoin et à des standards personnels. Bien que l’invention soit reliée à la résolution de problèmes, il y a de grandes différences entre les deux. La résolution de problèmes implique qu’une personne ait un but et qu’il y ait un obstacle qui l’empêche d’atteindre son but donc, des contraintes imposées de l’extérieur. L’invention implique les mêmes choses que la résolution de problèmes et, en plus, elle implique des standards, des critères que s’impose la personne elle-même.

Offrir un défi à l’élève

La motivation est intimement liée aux processus autorégulateurs et au phénomène d’anticipation : la personne anticipe une réussite ou un échec suite à une action, elle se fixe des buts et elle planifie des moyens pour atteindre ce qui a de la valeur pour elle (Bandura, 1986). Si l’action est signifiante et offre un défi, l’intérêt sera plus grand et l’engagement sera plus important. Dans ce processus, c’est la perception des événements futurs (anticipation) qui est source de motivation et de régulation du comportement. Bouffard (1993) rappelle certaines conclusions des travaux de Bandura : 1) avoir des buts ou des défis favorise l’engagement, la motivation ; 2) le niveau d’effort augmente chez plusieurs en fonction de l’exigence du but fixé ; 3) avoir des objectifs personnels augmente la motivation ; 4) recevoir du feedback pour les activités réalisées pour atteindre ses objectifs (évaluation de sa performance) augmente la motivation ; 5) l’adaptation ou la réadaptation continuelle des buts personnels est importante dans l’autorégulation de la motivation. Bandura et Cervone (1983) indiquent que c’est l’influence combinée du but et de la connaissance de sa performance qui affecte positivement la motivation.

Ils rappellent également des considérations dont il faut tenir compte quant aux objectifs et aux buts des apprentissages à réaliser.

Les objectifs à atteindre doivent être idéalement de difficulté moyenne.

S’ils sont trop faciles, ils ne suscitent ni l’intérêt ni l’effort.

S’ils sont trop difficiles, ils peuvent provoquer le découragement et un sentiment d’inefficacité.

S’ils sont de difficulté modérée et exigent de la rigueur, ils suscitent l’effort intense et engendrent la satisfaction.

Les objectifs à atteindre doivent être le plus spécifiques et explicites possible.

Ils permettent alors à l’élève d’identifier la quantité d’effort requis.

Plus les objectifs sont clairs et réalisables plus ils incitent à l’engagement et plus ils favorisent la performance.

Lorsque les buts sont trop complexes ou trop éloignés, il est important d’avoir des buts intermédiaires permettant d’atteindre les buts complexes.

Les buts intermédiaires permettent de déterminer les choix spécifiques des activités et de préciser l’effort requis.

La hiérarchisation des buts favorise l’apprentissage et le transfert de l’information.


sources : Tracer les chemins de la connaissance

- Denise Barbeau, Professeure - Cégep de Bois-de-Boulogne
- Angelo Montini, Professeur - Cégep Montmorency
- Claude Roy, Professeur - Cégep André-Laurendeau

http://www.cdc.qc.ca/Pages/Tracerle...