Innovation (Gather Thurler, Perrenoud, 2002)

samedi 7 mai 2005
par  Jean Heutte
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Il se peut qu’un jour les systèmes éducatifs évoluent principalement sous l’impulsion des professionnels et des établissements, de manière à éviter que les innovations soient plutôt appelées par des réformes décidées au centre et au sommet des systèmes éducatifs. Car il ne suffit pas de modifier des textes pour que les pratiques suivent. Même les réformes de structures, qui semblent pourtant relever du seul pouvoir organisateur - créer des filières, introduire des cycles pluriannuels, allonger la scolarité, modifier l’horaire scolaire - peuvent être vidées de leur substance si les enseignants n’en comprennent pas le sens. Les nouveaux programmes sont plus dépendants encore de leur bon vouloir. Les enseignants peuvent feindre d’en respecter la lettre sans en honorer l’esprit : les mathématiques ensemblistes, les approches communicatives de la langue ou les démarches d’observation et d’expérimentation en sciences ne peuvent être décrétées. Quant aux changements qui visent directement les pratiques - didactiques constructivistes, évaluation formative, pédagogie coopérative ou différenciée - elles dépendent presque totalement de l’adhésion des professionnels et de leur volonté d’acquérir les compétences correspondantes.

Ces constats ne sont pas neufs. Le plus troublant est sans doute le peu de cas qu’en font les ministères lorsqu’ils élaborent et imposent des réformes. On peut avancer quelques explications à ce qui paraît souvent une " conduite d’échec " :

  1. dans les démocraties, le calendrier politique pousse à obtenir des résultats rapides ;
  2. il y a tension entre la légitimité juridique des décisions et la nécessité que les acteurs y adhèrent ;
  3. les experts entrent en compétition pour influencer le contenu des réformes plus qu’ils ne se liguent pour les faire réussir ;
  4. les administrations scolaires n’aiment pas le désordre, la diversité, les initiatives locales ;
  5. les syndicats sont ambigus, prétendant défendre à la fois le bien commun et les intérêts de leurs membres.

L’école n’est pas un monde à part, elle est régie par des lois et doit répondre à une demande sociale, tenir compte des enjeux politiques, culturels ou économiques. Négocier le changement consiste à repérer les contraintes et les mandats qui échappent à tout marchandage &emdash; le " non négociable " -, à délimiter de la sorte la marge de manœuvre des acteurs et donc l’objet de leurs transactions (Gather Thurler, 2000 b et c ; Perrenoud, 1999, 2002).

Donner du temps au temps

Tout changement des pratiques est un processus, le résultat d’une lente construction sociale. Il ne peut être provoqué par une simple décision politique ou administrative. Aucun projet d’innovation, aussi séduisant soit-il, ne peut aisément convaincre les enseignants d’abandonner des routines ayant fait leurs preuves (" tried and true ") en faveur de pratiques qu’ils maîtrisent mal et qui ne leur garantissent pas un fonctionnement économique et efficace.

Une innovation ne peut produire très rapidement des effets mesurables sur les apprentissages des élèves. Tout changement significatif - et durable - s’accomplit par étapes, au gré desquelles les praticiens nouent des liens entre leurs savoirs d’expérience et les idées nouvelles, développent les compétences nécessaires, font évoluer leurs pratiques dans le sens proposé. Il faut ensuite qu’une cohorte au moins d’élèves traverse le système ainsi transformé et stabilisé. Le pilotage doit donc permettre de garder le cap durant une douzaine d’années au moins, tout en intégrant tous les événements imprévisibles aussi bien que les alternances politiques et les conflits sociaux...