Compétence et agentivité (Nagels, 2009)

 janvier 2010
par  Jean Heutte
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Le concept de compétence articule deux dimensions, l’une interne et l’autre externe à l’individu.
- La première s’intéresse à l’organisation cognitive de l’activité. Cette organisation reste largement implicite pour l’individu mais elle devient accessible par un effort d’explicitation à l’aide de méthodes d’analyse de l’activité. Nous pouvons la comprendre comme une mise en réseau d’éléments épars, de ressources cognitives diversifiées qui ne sont pas toutes des savoirs, au sens académique du terme.
- La deuxième dimension est de nature psychosociale, la compétence est un jugement, une évaluation de la performance, indépendamment de la pertinence de l’organisation cognitive de l’activité qui conduit à la performance. Cette performance sera-t-elle appréciée positivement par son environnement professionnel ? Sera-t-il « compétent », i.e. sa performance sera-t-elle évaluée et jugée conforme aux attentes de son environnement social ? La dimension externe de la compétence rend compte de l’interaction entre l’individu et son environnement dans le cadre des évaluations de compétence. La compétence devient alors une signification partagée, support aux jugements sociaux et aux attributions d’efficacité.

Ce modèle de la compétence trouve ses fondements dans la théorie sociocognitive qui articule, au sein d’une causalité triadique réciproque, les facteurs personnels, comportementaux et environnementaux de l’agentivité humaine (BANDURA A., 2003). Les déterminants personnels (auto-efficacité, organisation cognitive de l’activité) sont mis en relation avec les facteurs comportementaux (production de la performance) et environnementaux (attribution de compétence, tâches et normes professionnelles).

La compétence du point de vue de l’organisation cognitive de l’activité

Dans le cadre de cette communication, nous retiendrons que l’activité est organisée et soustendue par un schème, c’est-à-dire « une organisation invariante de la conduite pour une classe de situations » (VERGNAUD G., 1990). Le schème rend compte, tout à la fois, du caractère stable et adaptatif de l’activité et nous noterons que c’est l’organisation de l’activité qui est invariante et non l’activité elle-même.

La construction d’une compétence suppose que l’individu ait connu des expériences professionnelles variées et nombreuses et qu’il les ait analysées. Ses pratiques professionnelles en ont été modifiées et il a gagné en efficacité. Qu’a-t-il appris au fil de ses expériences successives ? Essentiellement à mieux réguler son action, à l’organiser de manière plus performante. Tous les registres de l’activité se développent : « les gestes, les activités intellectuelles et techniques, l’énonciation et le langage, l’interaction sociale et l’affectivité » (VERGNAUD G., 1999).

L’auto-efficacité individuelle et collective, variable-clé de l’agentivité

La maîtrise d’une situation professionnelle renforce le sentiment de l’individu qu’il peut agir efficacement dans des conditions difficiles, la compétence contribuant à la construction et au développement de l’agentivité humaine. L’agentivité se définit comme la capacité d’intervention sur les autres et le monde où les individus et les groupes sont tout à la fois les producteurs et les produits des systèmes sociaux. En fait, « l’agentivité humaine se caractérise par plusieurs aspects majeurs qui opèrent consciemment de manière fonctionnelle et phénoménale. Il s’agit de l’intentionnalité et de l’anticipation, qui permettent une extension temporelle de l’agentivité, de l’autorégulation par l’influence réactive sur soi-même, et de l’autoréflexion sur ses capacités personnelles, la qualité de son propre fonctionnement et le sens et la finalité des entreprises de son existence » (BANDURA A., 2001).
L’agentivité se manifeste de trois manières différentes : il s’agit tout d’abord de l’effet direct de l’intervention de la personne mais elle peut opérer aussi par le biais d’une « procuration » par laquelle le sujet escompte l’action d’autrui pour atteindre les buts souhaités. Enfin, l’agentivité peut être collective, par l’intermédiaire d’une coordination des efforts d’un groupe. L’agentivité se comprend à l’intérieur d’un modèle du sujet qui négocie systématiquement ses comportements, ses motivations et ses affects avec son environnement physique ou social (CARRÉ P., 2004).
Plusieurs effets sont associés à un niveau élevé d’auto-efficacité collective. En premier lieu, l’efficacité d’un groupe est lié à la croyance collective que le groupe est et sera productif (GIST M., 1987) ; la désirabilité du groupe et sa cohésion augmentent en conséquence (SPINK K.S., 1990). En fait, le niveau d’auto-efficacité collective influence les réalisations du groupe à travers les stratégies qu’il mettra en oeuvre, sa persévérance face aux difficultés et la quantité d’énergie qu’il pourra mobiliser. D’autre part, des études ont montré l’influence positive de l’efficacité collective des enseignants sur leur capacité à concevoir des dispositifs d’autoformation éducative ainsi que sur la performance scolaire des élèves (TROLLAT A-F., 2007). L’auto-efficacité collective est dépendante des perceptions que les enseignants, les parents et les membres du personnel entretiennent sur eux-mêmes mais elle influe également les perceptions d’auto-efficacité individuelle, l’engagement affectif et la satisfaction au travail (CAPRARA G., BARBARANELLI C., BORGOGNI L., PETITTA L., RUBINACCI A., 2003). De plus, il semble que le stress professionnel, lié à un contexte d’incertitude puisse être prévenu par un fort sentiment d’efficacité individuelle et collective (LAHMOUZ K., DUYCK J-Y., 2008). Le stress apparaît comme une problématique préoccupante à laquelle les organisations doivent faire face. Cinq grandes catégories de facteurs organisationnels et psychosociaux sont susceptibles de générer du stress : la situation macro-économique avec ses exigences de productivité, l’environnement matériel, les évolutions sociologiques de la relation à la clientèle ou l’utilisation des techniques de l’information et de la communication, l’organisation du travail et la qualité des relations de travail (CHOUANIERE D., 2006). L’auto-efficacité peut jouer un rôle de contrôle déterminant sur les trois derniers facteurs, au moins.


Source :
Nagels, M. (2009) Accroitre l’auto-efficacité collective en formation infirmière. Quand l’analyse du travail devient une expérience sociale
Recherches et Pratiques en Didactique Professionnelle – Premier Colloque International « L’Expérience » RPDP, Eduter et AgroSup Dijon – 2, 3 et 4 décembre 2009 à Dijon

Marc Nagels
École des hautes études en santé publique, responsable du service de l’évaluation et du développement pédagogique, Avenue du professeur Léon Bernard, 35700 Rennes, France ;
marc.nagels@free.fr