L’administration de l’éducation : quelles compétences ? (Dupuis, 2004)

 mars 2005
par  Jean Heutte
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Barnabé (2000) expose que le contexte social, culturelle et politique contemporain impose d’apprendre à vivre avec les doutes, les incertitudes et les anxiétés liés à un univers « postmoderne » inéluctablement complexe qui :
- verra se perdre le sentiment de certitude ;
- reconnaîtra le caractère instable de toute connaissance
- établira des médiations entre les faits contradictoires ; tout en continuant à faire des découvertes,
- intégrera les savoirs ;
- ne rejettera pas les progrès de la période moderne, mais il les articulera....

Le postmoderniste acceptera plus facilement le hasard et le chaos que des vues du monde ou de l’univers qui soient téléologiques et ordonnées....

Depuis le début des années 1980 de multiples chercheurs, observateurs, théoriciens et praticiens ont publié les résultats de leurs travaux sur les caractéristiques, qualités ou compétences que l’on devrait retrouver chez les personnels d’encadrement de l’éducation.

En Amérique du nord (USA-Canada), un changement fondamental s’est clairement établi au début des années 1990. Toutes les activités de l’encadrement ont été centrées sur la mission de l’école : l’apprentissage de l’élève. Le soutien de la relation enseignant-élève, l’activité éducative, devient l’aune à laquelle le processus administratif est revu et repensé.

Auparavant, on appliquait à l’éducation les théories générales de l’administration, actuellement la dynamique éducative devient le cœur du modèle de gestion à la place d’une dynamique administrative.

Quelque soient les écrits consultés, Dupuis constate que les descriptions convergent. L’accent peut être mis sur un champ de compétences plutôt qu’un autre, suivant les auteurs, mais ils couvrent un ensemble de qualités quasi identique. Dans les faits, dans toutes les références qu’il a étudié, il observe les mêmes idées, les mêmes titres de chapitre, les mêmes qualités : il identifie les mêmes habiletés, les mêmes compétences pour établir les critères d’une bonne administration de l’éducation.

Il propose de résumer l’ensemble autour de sept pôles : vision, prise de décision, communication, leadership, relations humaines, sens politique et sens de l’organisation.

Vision

Un bon administrateur scolaire, c’est quelqu’un qui a une vision claire des objectifs de son établissement et de son rôle, vision soutenue par un système personnel de valeurs éducatives intégrées. Par valeurs intégrées, on veut dire que la personne situe très bien son idée, sa philosophie, son cadre de référence professionnel, le projet de son école dans le cadre plus général des courants pédagogiques anciens et contemporains. On veut aussi souligner la nécessité de retrouver chez cette direction une bonne culture générale comme soutient à sa pensée pédagogique. Une personne de culture vivante, qui continue de s’informer, de se former, qui se tient au courant des développements les plus récents en éducation, en administration.

Beaucoup de chercheurs, d’observateurs du monde de l’éducation expliquent le succès ou l’échec de directions d’école par ce facteur de base. Cette vision doit évidemment être opérationnelle : on peut la sentir, la décrire en vivant dans l’établissement. Des valeurs éducatives éblouissantes, une vision brillante de « salon » ou de discours ne passent pas le test. L’administration est sans sens si elle ne se matérialise pas par et dans l’action.

Prise de décision

Administrer, c’est décider, mais pour décider correctement, tous reconnaissent que deux prérequis sont indispensables : l’habileté dans l’analyse des données d’un problème et surtout la capacité de synthèse des résultats de l’analyse. Beaucoup de débutants et d’autres se perdent dans les méandres des analyses, sont incapables d’en pondérer les résultats, de les relativiser pour arriver à la décision. La personne qui possède une vision intégrée et opérationnalisée de l’éducation, de l’objectif de son établissement et de son rôle serait ici très avantagée, car toute décision est contextuelle.

Communications

L’habileté à communiquer oralement et par écrit est indispensable. Administrer, c’est amener des personnes à travailler à l’atteinte des objectifs de l’organisation. Comment enrôler les gens s’ils ne comprennent pas ce que l’administrateur veut communiquer, veut dire, faire passer comme message, comme idée. Cela suppose l’interaction entre l’émetteur et le récepteur ; l’émetteur se doit de rejoindre le récepteur. Ce n’est pas parce qu’une chose est dite qu’elle est reçue, encore moins comprise et acceptée. Le contrôle de l’état de la réception est plus important encore que la « beauté » du message ! Il demeure que l’on ne doit pas négliger la forme : une faute de français dans un mot affiché à un babillard peut distraire du message !

Leadership

Assurer un leadership certain, paraît essentiel pour une direction. Mais qu’est ce que le leadership en pratique ? Les textes disent : la capacité de mobiliser, l’aptitude à inspirer confiance et à promouvoir l’implication. Mais qu’est-ce qui fait que l’un l’exerce, l’autre ne réussit pas ? Les définitions sont en général opérationnelles et non factorielles : c’est là, ça n’y est pas. On peut cependant observer qu’un administrateur qui cote bien aux trois dimensions décrites plus haut part avec une longueur d’avance. Ensuite, si l’on peut sentir que la personne croit en ce qu’elle fait, qu’elle s’implique avec énergie et constance, on aura toutes les chances qu’elle exercera le leadership qu’on attend d’elle.

Relations humaines

Une direction doit pouvoir impliquer tous les enseignants si elle veut réaliser son projet d’école. Les gens sont motivés par leurs besoins qui varient suivant la personne, la situation, l’âge, le sexe... Or, même si l’école n’est pas là pour le bien-être personnel des enseignants, du directeur ou des concierges, il faut arriver à faire se rencontrer la satisfaction des besoins des individus et l’atteinte des objectifs de l’école. Pour ce faire, le directeur se doit d’avoir une très grande sensibilité pour atteindre chacun, en même temps qu’il doit pouvoir canaliser les énergies de l’individu pour s’assurer de l’atteinte de ses objectifs professionnels. Rien de plus semblable que les êtres humains : tous veulent le bonheur. Mais ce qui rend l’un heureux, ennuie son voisin. Ce que je désire à 20 ans ne m’est d’aucun intérêt à 40 ans ! Je débute comme enseignant, mes besoins sont loin de ceux de l’ancien à quelques années de la retraite. J’ai deux enfants d’âge scolaire et mon mari travaille 12 heures par jour, je n’ai pas les mêmes besoins que la jeune grand-mère dont le mari est enseignant lui-même.

La finesse d’une direction efficace lui permettra de rejoindre les besoins des individus et de les impliquer. On se trouve dans un domaine de travail où il est possible de s’adresser aux niveaux des besoins les plus élevés dans la hiérarchie des besoins des individus. Par exemple, les jeunes adultes débutant dans la profession enseignante ressentent un besoin existentiel de s’affirmer professionnellement tout en recherchant autour d’eux des modèles, maîtres et mentors pour les aider à atteindre leur but. D’autre part les enseignants au mitan de leur vie, à la mi-carrière ressentent le besoin d’aider les plus jeunes dans la profession pour satisfaire leur besoin de générativité. Une direction éclairée verra à faire se rencontrer les besoins fondamentaux de ces deux groupes de personnel pour le plus grand bien de tous.

Comme on le répète souvent, les sources les plus puissantes de motivation et d’implication sont celles qui répondent aux besoins psychologiques du haut de la pyramide des besoins des individus vivant en société. Toute direction d’école devrait se compter privilégiée par la nature du travail d’éducation qui fait appel aux besoins les plus nobles des individus, à leurs besoins intimes d’estime et de réalisation de soi.

Quoi de plus noble que l’acte de rendre libres, autonomes, productifs et autosuffisants des êtres en croissance ! Dans les considérations préliminaires, on mentionnait l’importance existentielle que représente l’idée, l’image que l’on a de soi. Cette image de soi se construit à partir de réflexions que nous renvoient les autres. Le milieu, c’est un peu, beaucoup le miroir qui nous permet de nous voir. Certaines personnes ont un apport beaucoup plus significatif que d’autres dans la construction et le développement de ce moi, les collègues et le directeur par exemple pour le moi professionnel. Le directeur joue un rôle privilégié à cet égard par le seul fait de son statut. Le jeune enseignant attend fébrilement le jugement de son supérieur pour se conforter dans la construction de son moi professionnel. Que d’enseignants plus expérimentés se sentent oubliés, en viennent même à douter de leur compétence. On peut bien penser être bon, mais si jamais personne ne le remarque ? Que de kilométrage professionnel peut produire un compliment bien senti ! Le directeur se doit d’évaluer son personnel et de lui communiquer régulièrement son appréciation.

La finalité de toutes les actions considérées dans le domaine des relations humaines c’est d’arriver à mobiliser, à constituer une équipe, un groupe, un club dont tous les membres se sentent solidaires, parties prenantes appréciés et respectés, et qui soient fonctionnellement complémentaires dans l’atteinte des objectifs, de la réalisation du projet éducatif de l’école.

Sens politique

Au Canada, la Loi sur l’instruction publique place le directeur d’établissement dans un rôle de leader, négociateur, rassembleur, intégrateur : élèves, enseignants, parents, conseil d’établissement, commission scolaire, Ministère, milieu... sont là en attente de sa performance.

Chacun présente ses intérêts, ses exigences. Les normes du Ministère doivent être respectées, les décisions de la commission scolaire également. Tout en étant à l’écoute des parents et du milieu, le directeur doit mener à bien le projet éducatif de concert avec les enseignants. Son art sera de faire que les éléments de son système soient complémentaires et ne coexistent pas dans une tension d’opposition.

Il se doit de créer ce qu’il est convenu d’appeler une direction binaire et non bipolaire. Rôle éminemment délicat de va-et-vient, de conciliation et de coordination.

Sens de l’organisation

On trouve ici, probablement l’aspect le moins reluisant de l’administration mais sans lequel toutes les autres dimensions trouveront difficilement leur épanouissement. C’est la capacité d’assurer que toute la structure intégrant, soutenant les activités de l’organisation se trouve en place, qu’elle est fonctionnelle et souple. Quand c’est là, on ne remarque rien, ça fonctionne tout naturellement. Que ça soit absent, ou déficient, et les plus beaux plans, les groupes les plus compétents et motivés auront de la difficulté à fonctionner.

C’est souvent la partie de la fonction administrative qui consume une partie si grande du temps et des énergies de la direction qu’il ne reste que peu à donner aux autres aspects. Ceci est le signe de personnes qui ne sont pas organisées, structurées, qui ne sont pas « tombées dans la potion étant jeunes ». On possède ce sens de l’organisation ou on ne l’a pas. Par ailleurs, les structures imposées à un établissement ou les exigences bureaucratiques d’une commission scolaire, par exemple, peuvent alourdir exagérément l’importance des énergies requises. La réunionite aiguë, aussi bien que les interminables consultations sur tout et sur rien, de même que les multiples rapports techniques redondants, peuvent asphyxier une direction.

Curieusement, cet aspect de la fonction de direction représente un défi considérable pour la plupart des personnes aspirant à la direction par rapport, par exemple, à l’aspect relations humaines, motivation et implication au travail des enseignants, pour devenir très secondaire après même une période relativement courte d’exercice de la fonction. C’est peut-être là le signe qu’on l’a ou qu’on ne l’a pas ! Qu’on est tombé dans la potion ou non !

Quelle formation de l’encadrement ?

Selon Dupuis, on ne crée pas des administrateurs, on peut aider des individus qui ont les aptitudes à les développer, s’ils ont la volonté de le faire.

Comment ? Ou quel devrait être le rôle de la formation ?

Massé (2001) propose trois pôles de développement : éveil, accompagnement et enrichissement.

Dans son rôle d’éveil, la formation... justifie, elle fait voir, elle permet de comprendre, de faire les liens ; elle donne du sens. Elle aborde aussi les conditions de réussite ; elle est à l’écoute des résistances, des peurs, des emballements ; elle analyse, elle projette, elle cible ; elle permet de préciser et négocier des garanties, des ressources, des accommodements, des marges de manœuvre.

Dans son rôle d’accompagnement, elle assure une présence, un support, elle permet le partage, la réflexion, la critique constructive ; elle reçoit l’erreur, la remise en question, la révision des objectifs, des démarches, des moyens, des ressources.

Enfin, dans son rôle d’enrichissement, elle habilite ; elle soutient l’analyse et l’évaluation des informations ; elle utilise et fait émerger des référentiels pouvant guider les pratiques ; elle encourage l’apprentissage collectif ; elle favorise l’autoévaluation, les bilans, les suivis, et la reddition de comptes. (p. 17)

Pelletier, pour sa part, élaborait sa pensée de façon plus générale lorsqu’il écrivait : Une conception, en émergence depuis quelques années, est celle que l’on pourrait associer à une logique professionnelle. Suivant cette dernière, l’ensemble d’une formation devrait être adapté aux exigences d’une activité socioprofessionnelle donnée. Il importe donc d’identifier les actes professionnels, leurs fondements, leurs aspects techniques, éthiques, voire esthétiques, et de prévoir une batterie d’activités de formation, tant théoriques que pratiques, permettant aux futurs dirigeants de maîtriser la base de connaissances et d’habiletés qui structure leur acte professionnel. (Pelletier 2001. p. 27)

Ce que Dupuis résume trivialement de la façon suivante : l’objectif est
-  d’offrir aux personnels des lunettes pour comprendre la réalité, des grilles de lecture pour l’interpréter, un langage pour s’exprimer.
-  essaye de leur donner un cadre de référence, c’est-à dire qu’ils sachent pourquoi ils font les choses.
-  les aider à développer leur propre philosophie de la gestion pour pouvoir se situer, pour pouvoir ne pas jouer aux pompiers continuellement. Même lorsqu’ils doivent être les pompiers, il y a des feux, des situations d’urgence, continuellement, ils n’ont pas à réfléchir continuellement pour voir s’il y a une congruence entre l’action nécessaire et celle d’hier, s’ils ont une philosophie, une vision de leur rôle. S’ils se sont donnés une philosophie d’administration, il doit y avoir une congruence. Cela se sent, les autres le sentent, les personnes elles-mêmes le sentent, ce qui est sécurisant, parce que la fonction administrative est une fonction où l’on est facilement insécurisé s’il n’y a pas à l’intérieur de la personne ce sentiment de savoir où elle va si elle n’a pas intégré un cadre de référence.

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Source :

L’administration de l’éducation : quelles compétences ?

Philippe Dupuis Administration de l’éducation, Université de Montréal, Montréal, (Québec) Canada

Education et francophonie VOLUME XXXII:2 - AUTOMNE 2004