Le titre de Docteur n’appartient pas aux médecins... (Causse, 2009)

lundi 1er février 2016
par  Jean Heutte
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Combien de décennies faudra-t-il pour que le titre de docteur ne soit plus assimilé, abusivement, au médecin ? On peut certes être « docteur en médecine », mais aussi « docteur en géographie », en « sciences physiques », en « droit privé et sciences criminelles »… L’arrêt ci-dessous rapporté, qui casse un arrêt d’appel, illustre cette méprise : un journaliste qui avait mis en doute la qualité de « docteur » d’un titulaire du doctorat en physique-chimie se verra probablement condamné, après cette cassation, pour diffamation (alors qu’il avait été relaxé par la cour d’appel).

Cette décision est l’occasion d’un point sur les titres universitaires. La politique en matière d’université et de recherche n’aidera probablement pas à dissoudre la méprise, le moindre ingénieur a son titre d’ingénieur (Bac + 5) et la plupart des docteurs (Bac + 8) n’ont pas droit au leur ! C’est la France : les situations les plus tordues peuvent être tolérées sans que jamais personne ne s’indigne, voilà ce qu’est un pays « conservateur » !).

« Contextualisation » de l’arrêt

Reprenons notre affaire. En pratique, seuls les docteurs en médecine portent, dans l’usage, le titre de docteur – encore que dans certains pays les docteurs soient moins bêtes que les docteurs français : ils portent leur titre (si du moins cela leur fait plaisir). Dans les domaines des sciences technologiques, à l’étranger, le titre de docteur est souvent porté car il signifie un niveau supérieur au titre d’ingénieur ; le mauvais état de l’université française, mal traitée par rapport aux écoles d’ingénieur, n’impose pas en France cette pratique.

Dans de nombreux pays, en outre, le titre de "docteur" est indiqué par les plus hauts responsables scientifiques, notamment les professeurs d’universités. Ils mentionnent leur doctorat, leur habilitation à diriger les recherches, diplômes supérieur au doctorat) et leur titre de « professeur » (ce qui donne : Madame le Professeur UNTEL, Prof. Doc. Hab. de l’Université de Lettres de VARSOVIE).

En France, les seuls qui portent leur titre de docteur sont les médecins, c’est-à-dire les docteurs en médecine… Cette situation est presqu’un comble . Les thèses de médecine, pour la plupart, ne sont que des thèses dites d’exercice qui s’écrivent en quelques mois. On parle ainsi de « thèse d’exercice » pour signifier qu’il s’agit de la thèse indispensable aux formalités d’inscription à l’ordre des médecins (médecins travaillant dans le secteur privé) ou au passage des concours pour devenir praticien hospitalier (docteur en médecine d’un CH, CHU ou CHUR : médecins travaillant dans un établissement public de santé).

D’aucuns disent que cela ressemble plutôt à un mémoire de bon niveau des autres matières qu’à une thèse ; on laissera ce débat ouvert. Dans la plupart des domaines, la thèse est il est vrai un document approfondi constituant souvent plusieurs centaines de pages qui représentent plusieurs années de travail des meilleurs étudiants de fins d’études universitaires…. Il se dit ainsi que les médecins (déjà docteurs) qui se destinent à la recherche, et souvent à l’Université, refont une thèse. Cela leur permet de devenir (si la thèse est bonne) maître de conférences, chargé de recherches ou, plus tard encore, professeur d’université (exceptionnellement, on trouve parfois des maîtres de conférences qui ne sont pas docteurs, plus exceptionnellement encore des professeurs d’université). Ces docteurs en médecine inscrivent ainsi un « vrai sujet de recherche », de thèse, pour soutenir une thèse de médecine incorporant une véritable recherche. Ces médecins là passeront plusieurs années sur leur thèse (tout en travaillant souvent en service hospitalier) pour devenir des chercheurs accomplis (chercher, trouver et publier).

On notera que « docteur en médecine » est donc bien un titre et non une marque de distinction. Le terme « maître », employé dans les professions juridiques, n’est par exemple pas un titre spécifique. Aucun diplôme ou grade universitaire spécifique ne correspond à cette appellation à laquelle certains sont attachés. Celui qui a une maîtrise (une 4e année de Fac, en géographie, en math, en biologie…) est « maître en quelque chose ») ; il peut donc se faire appeler pompeusement « maître ». Il n’usurperait aucun titre (universitaire ou professionnel). Ce qui est protégé ce sont les noms des professions : avocat, huissier… qui eux sont des titres et qualités professionnelles dont l’usage n’est pas libre.

Au moment où l’on parle du mépris de l’université, cet aspect remet un certain nombre de choses en place puisqu’il remet en cause les étudiants les plus tenaces, les doctorants, qui, un jour, seront docteur sans qu’on leur donne d’une quelconque manière la reconnaissance qu’on leur doit. Le mépris de la Société envers ses docteurs en philo, en math, en géo, en histoire, en biologie… en dit long sur nos progrès de civilisation. Voilà de quoi nous mourrons, des conformismes les plus bêtes et les plus contraires à la logique la plus forte… et aucun ministre n’entend imposer que le doctorat soit un "plus" en entreprise ou ailleurs… !

Annotations sur l’arrêt

C’est de cette grossière anomalie sociale que se nourrit l’arrêt ci-dessous. Un journal trop sûr de son savoir avait sous-entendu qu’une personne n’avait pas droit au titre de docteur. Un chercheur du CNRS avait vu un article douter de ce qu’il puisse utiliser le titre et ainsi signer ou s’appeler « docteur X ». Vilaine pensée qui ne pouvait être que sanctionnée à hauteur de cassation, cette haute Juridiction étant occupée par de nombreux « docteurs en droit » qui, s’ils le veulent, peuvent se faire appeler et porte le titre de « docteur » ! D’autant que ceux qui ne le sont pas… auraient souvent voulu l’être.

On peut avec cet arrêt positionner le problème en expliquant la solution. Le doctorat est le plus haut grade (et non diplôme, nuance exagérée) de l’université, des diplômes pouvant être vus comme des niveaux supérieurs (l’agrégation de droit par exemple, dite agrégation post-doctorale, ou, dans toutes les matières, l’habilitation à diriger les recherches, dite HDR). Tout cela est parfaitement connu des milieux universitaires. Le journaliste quelque peu scrupuleux peut avoir l’information et les explications utiles dans toute université ou dans toute « faculté ».

La cour d’appel n’a pas été sensible à la cause du chercheur, mal lui en a pris : elle est invitée à prolonger un peu ses études… peut-être en lançant quelques un des ses conseillers dans un travail de thèse (pour qu’ils soient docteurs) ; ce détail de leur parcours ne leur prendra que 3 ou 4 ans au bas mot… Ils penseront peut-être alors que le titre de « docteur » n’est pas un détail ! La position des juges d’appel montre cependant l’état d’esprit particulièrement désobligeant à l’égard du doctorat. Son arrêt d’appel est donc cassé et la cour est dessaisie du litige qui s’en va devant la juridiction d’Angers.

La Haute Juridiction sanctionne le raisonnement des juges d’appel en une phrase courte et lourde. Elle dit simplement et clairement que le journal a porté atteinte à l’honneur du plaignant en doutant lourdement de son titre dans des circonstances de vocabulaires accentuées. « … les propos incriminés laissent entendre que Jean-Marc X... se prévaut abusivement du titre de docteur, insinuation renforcée par la mise entre guillemets, sans nécessité et à deux reprises, du mot “docteur”, et accréditent l’idée que ses avis, émanant d’un “simple” chargé de recherches, ne peuvent avoir qu’une valeur scientifique relative, la cour d’appel a méconnu la prohibition de la diffamation ».


Source :
Causse, H. (2009). Le titre de « docteur » n’appartient pas aux médecins ! N’est pas « docteur » qui veut et qui l’est a son honneur ! Mise au point sur le titre de docteur ou l’histoire d’une méprise publique avec la médecine (Cass. crim. 20 janvier 2009, n° 07-88122) http://www.hervecausse.info/Le-titr...