L’utilisation de la pleine conscience (mindfulness) dans un cadre thérapeutique (Muzellec, 2008)

samedi 7 mai 2011
par  Jean Heutte
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Jon Kabat-Zinn [1] précurseur de l’utilisation de la pleine conscience dans un cadre médical la définit ainsi « Mindfulness signifie pleine conscience, c’est-àdire le fait de porter son attention sur le moment présent, avec intention, et sans jugement de valeur sur ce qui vient » ou bien encore « d’amener toute sa vigilance sur l’expérience de l’instant présent, moment après moment ». Pour parvenir à cet état, il s’agit principalement d’utiliser des techniques ancestrales de méditation, inspirées surtout des pratiques bouddhistes et développées, pour soulager la souffrance humaine. Différentes méthodes de méditation comme entre autres – la concentration sur un seul objet, la visualisation, l’engendrement de la compassion – mènent chacune à différents états méditatifs.

La concentration totale sur un objet d’attention unique est la forme la plus élémentaire et la plus universelle de ces pratiques, puisqu’on la retrouve sous différentes formes dans toutes les traditions spirituelles qui ont recours à la méditation. Comme l’écrit Frédéric Rosenfeld (2007) [2], médecin psychiatre, ces exercices de l’esprit, gagnent peu à peu leurs droits d’entrée en terre scientifique. Des précurseurs, déterminés à comprendre leurs effets sur leurs pratiquants, cherchent à se plier aux exigences de l’approche scientifique. Qu’ils soient médecins, praticiens, et chercheurs ou psychologues cliniciens en quête de connaissance, tous partagent une curiosité ouverte et dépourvue d’idées préconçues.

L’un de ces pionniers en 1975, le cardiologue, Herbert Benson (cité par Rosenfeld, 2007) s’intéresse aux effets curatifs de la relaxation, au sein même du laboratoire de l’université d’Harvard, qui avait mis en évidence les réactions physiologiques engendrées par le stress. Il évalue et compare des pratiques de relaxation et observe une même réponse de l’organisme qu’il nomme la réponse de relaxation (caractérisée par une baisse du tonus musculaire et un ralentissement du système nerveux sympathique).

En 1985, Benson (cité par Rosenfeld, 2007) observe que l’organisme est soit stressé, soit détendu, mais qu’il ne peut être les deux en même temps. Il en déduit une application médicale de la relaxation et met au point la manoeuvre qui porte son nom :
- Asseyez vous confortablement
- Fermez les yeux
- Détendez vos muscles en commençant par les pieds
- Respirez par le nez et prenez conscience de votre respiration

Il mène ses recherches dans le laboratoire qu’il a recréé dans l’Himalaya, auprès de méditants chevronnés (moines tibétains du dalaï-lama). Les chercheurs observent les modifications métaboliques et enregistrent l’électro-encéphalogramme de ces moines méditants. Ils en concluent que la méditation engendre également la fameuse réponse de relaxation.
De retour aux États-Unis, Benson se penche sur d’autres techniques de méditation, issus d’autres courants spirituels [3]. Il définit quatre caractéristiques communes à toutes les méthodes de méditation étudiées. En 1987, Benson (cité par Rosenfeld, 2007) donne naissance au Big Four :
- Un environnement calme
- Un relâchement musculaire
- Une attitude passive
- Un certain état de concentration

À la lumière des travaux de Benson, la méditation apparaît comme une méthode médicale efficace pour obtenir une réponse de relaxation.

La psychologie cognitive s’intéresse, elle aussi, à la question de la méditation. En 1980, ses protagonistes (Lehrer, Schoiket et Carrington cités par Rosenfeld, 2007) cherchent, quant à eux, à démontrer les différences entre la détente engendrée par la relaxation et celle provoquée par la méditation. Dans le cadre de cette comparaison, les participants sont soumis à des situations de menace : les résultats indiquent que les méditants ont plus de résistance aux stress émotionnels que les sujets simplement relaxés. Méditer semble posséder un « plus » qui échapperait à la relaxation.

À la suite de ces études pionnières, les travaux se multiplient, encouragés par le XIVe dalaï-lama, notamment à l’Université du Wisconsin où Richard Davidson (cité par Goleman, 2008 [4]) poursuit un programme aussi ambitieux que vaste : explorer les caractéristiques neuronales d’un cerveau de moine en activité méditative. Il observe que les pratiquants de la méditation présentent un lobe frontal plus irrigué et ce même en dehors de l’exercice de méditation. « Cet acte volontairement mental et purement cognitif, altère profondément la conscience et les équilibres physiologiques de l’organisme. Les pratiquants de la méditation sont capables de mieux contrôler leurs amygdales, ces parties du cerveau associées à la peur et à la colère… Non que les bouddhistes tibétains soient nés plus calmes, ou plus heureux que tout autre personne, mais ils ont développé des réponses méditatives au stress. » conclut le chercheur.

En 1995 au cours de travaux antérieurs sur le cerveau, Davidson (cité par Rosenfeld, 2007) découvre que les zones situées dans l’amygdale et le cortex préfrontal droit sont activées lorsque les personnes sont mises en situation de ressentir des émotions négatives (colère, peur, tristesse). En revanche, lorsque les émotions sont agréables (optimisme, enthousiasme, calme, bonne humeur), ces zones corticales droites sont silencieuses tandis que le cortex préfrontal gauche augmente son activité. A partir de là, Davidson met en évidence le rapport d’activité gauche - droite dans les zones cérébrales étudiées, et tente de démontrer que ce rapport coïncide avec l’humeur des volontaires. Après avoir effectué des mesures sur des centaines d’individus, Davidson constate que cet indice permet de prédire l’ambiance émotionnelle des sujets. Plus l’activité prédomine dans le cerveau droit, plus les personnes ont un répertoire émotionnel de base orienté vers la tristesse, la peur ou la colère. Au contraire, plus l’indice montre une prédominance d’activité gauche, plus les volontaires ont un répertoire émotionnel positif qui se manifeste par une prédisposition au calme, à l’humeur joyeuse. En parallèle, l’index d’activité cérébrale moyenne des méditants bouddhistes de longue date révèle une activité plus importante de la zone corticale gauche.

Et si l’optimisme et le pacifisme des moines étaient le fruit de leur entraînement mental ? Davidson et le dalaï-lama (in cités par Goleman, 2008) se demandent si le contexte religieux est pour quelque chose dans cette attitude positive des méditants. Peut-on obtenir les mêmes résultats en enseignant la méditation de façon laïque, à des individus d’origine ethnique différente, croyants ou non ? Rendre accessible les pratiques méditatives, réservées jusqu’alors aux monastiques, et ce sans altérer la nature de ses effets bénéfiques, n’est envisageable qu’avec une connaissance profonde des traditions bouddhistes qui lui ont donné naissance.

L’enseignant zen vietnamien Thich Nhat Hanh (1996, cité par Maex, 2007 [5]) a oeuvré à cette recherche et il place la pleine conscience au centre de son enseignement. C’est lui qui est à l’origine du mot mindfulness, traduction anglaise de Sati [6]. En pleine guerre du Vietnam, transmettant les pratiques de la pleine conscience, il vient en aide à la population. Un de ses premiers recueils traduits en anglais sous le titre « The Miracle of Mindfulness » livre les correspondances de Thich Nhat Hanh avec ces personnes soumises au stress insupportable de la guerre [7]. On y trouve l’essence des pratiques ancestrales traduites par l’auteur pour venir en aide aux gens dans leur souffrance. Par la clarté de son enseignement, il est à l’origine de l’éclosion de la pleine conscience en Occident. Jon Kabat-Zinn, quant à lui, va la faire connaître au monde médical et oeuvrer à la mise en place de programmes de soins dans de nombreux domaines (Kabat-Zinn, 1990, 2005).

À la fin des années 70, ce jeune docteur en biologie moléculaire, enseigne le Yoga et pratique la méditation bouddhiste vipassana d’origine birmane. Convaincu des bienfaits de l’association de ces pratiques, il cherche à en donner une forme plus contemporaine, spécifiquement conçue pour soulager la détresse physique et morale. Il suit son intuition de chercheur : l’attention guidée intentionnellement vers l’instant présent unifie le corps et l’esprit. Cette pratique engendre une autre attitude face à la vie. Kabat-Zinn poursuit ses investigations au Centre Médical de l’Université du Massachusetts (UMass). Il cherche une terminologie laïque pour transmettre l’essence de la posture méditative. « Cette essence est universelle, dans la mesure où elle cherche à affiner l’attention et la vigilance. Elle est un véhicule puissant pour travailler à l’exploration de son soi profond, à la recherche des causes ultimes de la souffrance, et pour s’en libérer ». Kabat-Zinn crée le programme thérapeutique de la Mindfulness Based Stress Reduction ou MBSR. Ce programme a pour ambition d’apprendre aux participants à gérer de façon autonome leurs soucis. Cela passe par l’acquisition d’une habileté personnelle, qu’ils pourront mettre à profit seul, une fois qu’ils en auront maîtrisé les principes en groupe. Dans sa clinique de réduction du stress (Stress Reduction Clinic) qu’il crée en 1979, Kabat-Zinn met rapidement en pratique son programme MBSR auprès de personnes souffrant de douleurs physiques persistantes. Davidson et al. (2003 [8]) proposent de démontrer que les améliorations émotionnelles prodiguées par la pleine conscience évoluent en parallèle avec les particularités cérébrales gauche - droite. Leur voeu de tester des « cerveaux laïcs » peut se réaliser grâce aux volontaires mobilisés par Jon Kabat-Zinn.
Après les huit semaines du programme MBSR, le ratio moyen des volontaires s’oriente vers la gauche. Ils se déclarent plus engagés dans leur travail, plus dynamiques et moins anxieux. Lorsqu’ils sont re-testés en EEG quatre mois après leur stage de méditation laïque, leur index émotionnel montre toujours la prévalence d’une activité cérébrale gauche. Les effets se montrent durables. De nombreux centres de soin prodiguent aujourd’hui le programme MBSR, permettant de secourir la détresse liée à un grand nombre de problèmes de santé. Bien des chercheurs et cliniciens permettent à cette approche de pénétrer dans le monde occidental sans pour autant qu’ils souscrivent au contexte culturel et religieux de la pleine conscience (Baer, 2003 [9]). Ils donnent naissance à des pratiques en vigueur dans des contextes médicaux variés (Grossman et al., 2004 [10]).

Quelques domaines d’application

Les domaines, pour lesquels une présomption d’efficacité de la pleine conscience existe, concernent notamment :
- Une série de troubles de l’axe I du DSM-IV (1994) :
— les troubles anxieux (Kabat-Zinn J et al., 1992, cités par Rosenfeld, 2007) Pour cette étude, les auteurs proposent à des volontaires souffrant d’attaques de panique et d’anxiété généralisée, de suivre le programme MBSR. Après le stage, le nombre de sujets soumis à des attaques de panique se réduit, de même que leurs scores aux questionnaires mesurant l’anxiété. La MBSR agit de façon spécifique sur ces troubles, mais aussi de façon durable. En effet, le soulagement des patients se maintient durant les trois mois de suivi psychologique après l’expérience. Miller et al. (1995, cités par Rosenfeld, 2007) poursuivent l’étude avec le même groupe de volontaires auxquels ils proposent des entretiens médicaux et des questionnaires. L’étude conclut que les améliorations sur l’anxiété et les attaques de panique se maintiennent durablement sur les trois ans.
— Les dépressions bipolaires de type I sont développées largement dans ce qui suit.
— Les troubles obsessionnels compulsifs ont fait l’objet d’une étude en français où Dantin (2007, [11] envisage le recours à la méditation par la pleine conscience dans le traitement comportemental et cognitif de certains sous-types de ces pathologies.
- Le traitement de l’acouphène chronique invalidant étudié par Philippot et al. [Philippot P, Nef F, Clauw L, de Romerée M – A controlled, randomised trial of MBCT training effectiveness for treating Tinnitus. Paper presented at the Special Interest Meeting on MBCT, Oxford, January 4th-6th] montre une supériorité du groupe ayant suivi le programme MBSR en ce qui concerne la diminution de l’irritabilité et une consolidation des bénéfices du traitement lors du suivi de trois mois.
- Certains autres troubles psychosomatiques par exemple le psoriasis [12], la fibromyalgie [13].
- Quelques types de cancers (Carlson et Garland, 2005, cités par Rosenfeld, 2007).
- Certaines insomnies (Cohen, 2004, cité par Rosenfeld, 2007).
- La dépression et l’anxiété chez le sujet âgé (DeBerry, 1982, cité par Rosenfeld, 2007). Les pratiques en vigueur font appel à la pleine conscience soit partiellement, soit totalement. Celles intégrant largement des exercices de pleine conscience sont la thérapie comportementale dialectique de Marsha Linehan [14] et la thérapie par l’acceptation et l’engagement (Acceptance and committment Therapy : ACT) d’Hayes et al. (1994 [15])

Il existe actuellement deux programmes exclusivement basés sur la pleine conscience : le MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction) et, d’autre part, le MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy), thérapie cognitive basée sur la pleine conscience développée par Segal, Williams et Teasdale (2008).

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Source ;
Muzellec, C. (2008) L’approche thérapeutique basée sur la pleine conscience sur le site de l’Association pour le Développement de la Mindfulness -


[1] Kabat-Zinn J – Où tu vas, tu es. Paris : Editions J’Ai Lu, 2005.

[2] Rosenfeld F – Méditer s’est se soigner. Paris : Ed Les Arènes, 2007.

[3] Benson H, Malhortra MS, Ralf F, Goldmam R, Gregg D, Jacobs G, Hopkins JP – Three case reports of metabolic and electroencephalographic changes during advanced Buddhist meditation techniques. Behavioral Medicine, 1990, 1, 90-95

[4] Goleman D – Surmonter les émotions destructrices. Un dialogue avec le Dalaï-Lama. Paris : Robert Lafont, 2008

[5] Maex E – Mindfulness : apprivoiser le stress par la pleine conscience. Bruxelles : De Boeck, 2007

[6] Sati souvent traduit en français par l’attention juste

[7] Nhat Hanh, Thich – Le miracle de la pleine conscience. Paris : Edition de l’Espace Bleu, 1996.

[8] Davidson R, Kabat-Zinn J,Schumacher J, Rosencranz M, Müller D, Santorelli S, Urbanowski F, Harrington A,Bonus K, Sheridan J – Alterations in brain and immune function produced by mindfulness meditation. Psychosomatic Medicine, 2003, 65, 564-570

[9] Baer RA – Mindfulness training as a clinical intervention : a conceptual and empirical review. Clinical Psychology : Science and Practice, 2003, 10/2, 125-143

[10] Grossman P, Niemann L, Schmidt S, Walach H – Mindfulness-based stress reduction and health benefits. A meta-analysis. Journal of Psychosomatic Research, 2004, 57, 35-43

[11] Dantin L – Méditation pleine conscience et traitement cognitive des obsessions. Journal de thérapie comportementale et cognitive, 2007, 17, 115-119

[12] Relman A, Kabat-Zinn J, Hosmer D, Riley D – Parsing the data : An examination of a study on meditation and the treatment of psoriasis. Advances in Mind-Body Medicine, 2001, 17, 66-77

[13] Sephton SE, Salomon P, Weissbecker I, Ulmer C, Floyd A, Hoover K, Studts JL – Mindfulness meditation alleviates depressive symptoms in women with fibromyalgia : results of a randomized clinical trial. Arthritis Care and Research, 2007, 57, 77-85

[14] Linehan M – Traitement cognitivo-comportemental du trouble de la personnalité étatlimite. Genève. Edition Médecine et Hygiène, 2000

[15] Hayes SC, Jacobson NS, Follette VM, Dougher MJ (Eds.) – Acceptance and change : Content and context in psychotherapy. Reno, NV : Context Press, 1994.