Le FLOW : l’expérience optimale ou autotélique (Heutte, 2006)

 avril 2006
par  Jean Heutte
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Cet article mis à jour le 19 mars 2011

On ne peut comprendre, s’approprier des savoirs (ou des gestes), construire des compétences sans s’investir personnellement fortement dans la tâche, ce qui nécessite un niveau élevé de mobilisation. Cela n’est possible que si le contenu de la tâche ou ses buts sont en eux-mêmes mobilisateurs, s’ils suscitent curiosité, désir, défi, adhésion personnelle, plaisir. Le sens n’est pas alors extrinsèque, lié à un calcul, mais intrinsèque. On " se prend au jeu ". C’est à partir de ce seuil qu’on travaille sans s’en rendre compte, sans ménager son temps et ses efforts, pour soi et non pour les autres (ses parents, ses enseignants ou son employeur...).

Csikszentmihalyi [1] (1975) a voulu identifier les conditions qui pouvaient caractériser les moments que les gens décrivaient parmi les meilleurs de leur vie. Il a interrogé des alpinistes, des joueurs d’échec, des compositeurs de musique et d’autres personnes qui consacraient beaucoup de temps et d’énergie à des activités pour le simple plaisir de les faire sans recherche de gratifications conventionnelles comme l’argent ou la reconnaissance sociale.

Les résulats de ces recherches lui ont permit de définir le concept de l’expérience optimale qu’il appelle "flow [2]" (Csikszentmihalyi, 1990) qui réfère à l’état subjectif de se sentir bien (Csikszentmihalyi & Patton, 1997).

"Voilà ce que nous entendons par expérience optimale. C’est ce que ressent le navigateur quand le vent fouette son visage,..., c’est le sentiment d’un parent au premier sourire de son enfant. Pareilles expériences intenses ne surviennent pas seulement lorsque les conditions externes sont favorables. Des survivants de camp de concentration se rappellent avoir vécu de riches et intenses expériences intérieures en réaction à des évènements aussi simples que le chant d’un oiseau [...]. Ces grands moments de la vie surviennent quand le corps ou l’esprit sont utilisés jusqu’à leurs limites dans un effort volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d’important. L’expérience optimale est donc quelque chose que l’on peut provoquer... Pour chacun, il y a des milliers de possibilités ou de défis susceptibles de favoriser le développement de soi (par l’expérience optimale)." (Csikszentmihalyi, 2004, p17).

Selon Csikszentmihalyi (Barth, 1993, p. 155) l’expérience optimale comporte 8 caractéristiques majeures :

  1. la tâche entreprise est réalisable mais constitue un défi et exige une aptitude particulière.
  2. La tâche exige une concentration profonde qui absorbe et canalise l’attention.
  3. Cette concentration est rendue possible parce que l’activité a un but précis et bien compris.
  4. L’activité donne lieu à un feed-back immédiat, car on sait quand le but est atteint, l’activité ayant un sens pour elle-même.
  5. On agit en s’impliquant complètement mais sans vraiment ressentir l’effort comme quelque chose de douloureux. On n’est plus conscient des soucis et des frustrations de la vie quotidienne.
  6. On a le sentiment d’exercer un contrôle sur son action (et non pas d’être contrôlé par elle, comme dans le cas d’une dépendance, quelle qu’elle soit).
  7. Le souci de soi disparaît, mais paradoxalement, le sens de soi se trouve renforcé après cette "expérience".
  8. Le sens du temps est altéré, les heures deviennent des minutes et les minutes peuvent se prolonger en heures.

L’expérience optimale survient lorsqu’il y a une correspondance adéquate entre les exigences de la tâche et les capacités de l’individu. Elle apparaît entre l’anxiété et l’ennui, quand le défi correspond aux capacités de l’individu. (Csikszentmihalyi, 2004, p84)

L’expérience optimale rend l’individu capable d’oublier les aspects déplaisants de la vie, les frustrations ou les préoccupations. La nature de l’expérience optimale exige une concentration totale de l’attention sur la tâche en cours, de sorte qu’il n’y a plus de place pour la distraction.(Csikszentmihalyi, 2004, p67)

Même si la perte d’une perception exacte du temps n’est pas une composante majeure de l’expérience optimale, la liberté à l’égard de la tyrannie du temps augmente l’enchantement éprouvé dans l’état d’engagement total.

[...] l’expérience optimale entraîne des conséquences très importantes : meilleure performance, créativité, développement des capacités, ...estime de soi et réduction du stress.

Il s’agit d’un état dynamique de bien-être, de plénitude, de joie, de créativité, d’implication totale.

Les types d’activités - et il s’agit bien d’activités- qui induisent cet état sont très variés. Il peut s’agir d’un jeu, de gravir la montagne, d’aménager un jardin, d’exécuter une danse ou une posture de yoga, d’analyser une œuvre d’art, de traverser l’océan, de remettre en état une maison délabrée, de lire un livre, de pratiquer une opération chirurgicale, de participer à une discussion..., mais les raisons pour lesquelles ces activités sont décrites - par les acteurs- comme procurant ce sentiment de plaisir et de bien-être sont les mêmes.

La combinaison de ces éléments se traduit par un si gratifiant sentiment de profond bien-être que le seul fait de pouvoir le ressentir justifie une grande dépense d’énergie. Ce sentiment crée un ordre (harmonie) dans notre état de conscience et renforce la structure de soi. Un développement de soi se produit seulement quand l’interaction est vécue comme positive par la personne.

Csikszentmihalyi utilise aussi le terme grec autotelie pour décrire l’expérience : auto : soi - telie : but. Ce terme exprime l’idée d’une activité qui constitue sa propre gratification et qui n’exige pas une finalité (qui n’est pas exclue par ailleurs) autre qu’elle-même. L’attention est plus centrée sur l’action que sur ses effets. Comme le remarque Csikszentmihalyi, la plupart de nos activités sont des combinaisons de ces deux types de but.



Enquête "Auto-efficacité, Flow et TIC" (Déro & Heutte, 2011)

Dans le cadre de recherches initiées en 2007 [3] concernant notamment certains déterminants psychologiques de la motivation à apprendre, vous êtes invités à participer à la validation d’outils de mesure du sentiment d’efficacité personnelle [4] et du Flow [5] dans des contextes d’apprentissage, de formation ou de travail avec les outils numériques.

Pour y parvenir dans de bonnes conditions de validité scientifique, la participation du plus grand nombre est requise (idéalement, il conviendrait de dépasser 1000 répondants pour vérifier la bonne tenue de ces outils et permettre une publication dans une revue internationale...).

Renseigner ce questionnaire ne prend qu’une dizaine de minutes, pour y accéder, il suffit de suivre ce lien : http://www.iufm.fr/questionnaires/index.php?sid=76547

Comme le questionnaire est pensé pour être adapté à un très large public (élèves, étudiants, professionnels en activité, en reconversion ou en retraite...), n’hésitez pas à faire connaître cette enquête (en vous inspirant de cette annonce pour la diffuser) par tous les moyens qui vous sembleront appropriés, via vos réseaux de contacts.

Responsabilité scientifique du projet :
Moïse Déro, Maître de conférences en Psychologie, et Jean Heutte, Ph.D en Sciences de l’éducation, IUFM Nord-Pas de Calais, Université d’Artois
et Centre de recherches éducation et formation (Cref-EA 1589), Équipe "Apprenance et formation des adultes", Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense (Paris 10).

Pour toute question concernant ce questionnaire, vous pouvez les contacter directement par messagerie électronique :
moise.dero@univ-artois.fr ou jean.heutte@univ-artois.iufm.fr

Merci d’avance pour votre contribution !


Source :
Barth, B.-M. 1993. Le savoir en construction, Paris, Retz, pp. 154-155.

Csikszentmihalyi, M. 1975. Beyond boredom and anxiety. San Francisco : Jossey-Bass.

Csikszentmihalyi, M. 1990. Flow, the Psychology of Optimal Experience, New York, Harper and Row.

Csikszentmihalyi, M. et Patton J. -D. 1997. Le bonheur, l’expérience optimale et les valeurs spirituelles : une études empirique auprès d’adolescents, Revue québécoise de psychologie, vol.18, n°2, 1997.

Csikszentmihalyi, M. 2004. Vivre : la psychologie du bonheur, Paris, Éditions Robert Laffont

Csikszentmihalyi, M. 2005. Mieux vivre : en maîtrisant votre énergie psychique, Paris, Éditions Robert Laffont


[1] prononcer « chic-sainte-mihal » ou pour les anglophones « Chick-SENT-me-high »

[2] Dans les versions françaises des textes de Csikszentmihalyi, on trouve indifféremment les termes de « flux », d’« expérience-flux », d’« expérience optimale » ou de « négentropie psychique » (version française de "Mieux vivre", traduite par Claude-Christine Farny, en 2005)

[3] soutiens IUFM Nord-Pas de Calais, R/RIU/07/001, R/RIU/08/001, R/RIU/08/007, R/RIU/09/008 et R/RIU/10/004, et IFÉ (ex INRP) n°76022 et 76023 , dans le cadre du programme "culture numérique, technologies de l’information et de la communication et éducation" (CNTE).

[4] Bandura, 1977, 2003, 2005

[5] Csikszentmihalyi, 1975, 1990, 2005