Education au bonheur (Fordyce, 1997)

 octobre 2008
par  Jean Heutte
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Est-ce que le bonheur peut être enseigné ?

Le présent article suggère que oui et, pour ce faire, il présente une vue d’ensemble des recherches qui ont indiqué certaines voies possibles. Si le bonheur dans la vie est déterminé à un quelconque niveau par certaines caractéristiques d’une personnalité, d’un choix ou d’une attitude qui pourraient être modifiées par apprentissage, il est alors raisonnable de penser que le bonheur peut être enseigné.

Pour les chercheurs intéressés par cette possibilité d’une éducation au bonheur, trois questions se posent.
- Pouvons- nous identifier quelques traits propres aux gens heureux qui pourraient être enseignés à d’autres personnes ?
- Est-ce que ces dernières peuvent apprendre à développer ces traits ?
- Si elles le faisaient, deviendraient-elles effectivement plus heureuses ?

Dans une première publication de trois études (Fordyce, 1977), une série de stratégies pour accroître le bonheur a été utilisée sous différentes conditions ; toutes se montrèrent capables d’augmenter le niveau de bonheur des sujets expérimentaux impliqués. Peu après, Lichter, Haye et Kamman (1980) ont démontré un accroissement du bonheur en utilisant des procédures similaires. Dans un article ultérieur Fordyce (1983) rapportait quatre études supplémentaires réussies que nous avions réalisées (incluant une étude avec suivi d’une durée d’un an). Par la suite, Kowal (1986) (étudiant des patients cancéreux de clinique externe), Wade (1993) (étudiant des professeurs de collège) et Fordyce (1994), dans cinq recherches plus récentes (comparant des classes de collège ayant ou non reçu une éducation au bonheur) ont trouvé des résultats significatifs pour ceux qui avaient été éduqués au bonheur.

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En effet, s’il existe certains traits que possèdent les gens heureux que le reste d’entre nous pourrions apprendre, quels sont-ils et comment pouvons-nous enseigner aux autres à les imiter ?
Un regard rapide aux données recueillies sur le bonheur suggère qu’une telle éventualité soit faible. Beaucoup de données recueillies jusqu’à maintenant semblent associer le bonheur avec le succès, la classe sociale, une bonne santé, l’harmonie familiale, le statut occupationnel, les conditions économiques et politiques, le revenu, le niveau d’instruction et, peut-être le plus accablant de tout, avec des facteurs génétiques, la majorité de ces variables pouvant être difficilement modifiées de façon significative par une personne.
Pourtant, au fil des années, certaines caractéristiques associées à l’atteinte du bonheur sont régulièrement apparues ; ces caractéristiques semblent pertinentes comme base de recherche en vue d’une éventuelle éducation au bonheur.

Le trait fondamental Un : être plus actif et demeurer occupé

De nombreuses études montrent que les gens heureux sont activement impliqués dans la vie. Selon ces recherches, les personnes heureuses remplissent leur vie avec de l’activité et, plus important encore, ils passent plus de temps que la plupart des autres personnes à faire des choses qu’ils trouvent agréables et amusantes.

Cinq types d’activités tirés de la recherche sont présentés comme des principes de base :
- des activités agréables soulèvent plus de bonheur que des activités qui ne le sont pas ;
- des activités excitantes, mobilisantes physiquement semblent générer plus de plaisir que des activités sédentaires et tranquilles ;
- des expériences nouvelles tendent à soulever plus de bonheur que des expériences familières ;
- des activités sociales génèrent plus de bonheur que des activités solitaires ;
- une démarche significative est plus satisfaisante que des divertissements triviaux.

Le trait fondamental Deux : passer plus de temps à socialiser

Une donnée solidement établie dans la recherche accumulée sur le bonheur et la satisfaction de vivre est celle de l’importance jouée par le lien social sur le bonheur personnel. En effet, la majorité des études ont rapporté qu’une vie sociale satisfaisante était le facteur le plus contributif au bonheur.

La plus grande partie de l’impact de la vie sociale sur le bonheur d’un individu repose sur des relations proches et intimes. Les études sur ce sujet nous apprennent que les gens heureux présentent un haut degré de participation à des activités sociales, autant à un niveau formel (organisations, clubs, associations, etc.) qu’à un niveau informel (amis, voisins, collègues de travail, famille étendue, etc.) et que ces interactions contribuent à créer des sentiments importants de satisfaction, de soutien et d’appartenance qui ajoutent à leur sensation générale de bonheur.

Le trait fondamental Trois : être productif dans un travail significatif

Dans la recherche, le bonheur et la satisfaction de vivre ont souvent été associés avec un travail significatif et une activité productive. L’enseignement sur ce sujet commence par une revue de la quantité impressionnante de recherches en sciences humaines qui montrent comment la satisfaction de vivre peut être liée à un emploi satisfaisant et, plus spécifiquement, jusqu’à quel point les gens les plus heureux semblent intéressés et satisfaits par leur travail.

Le trait fondamental Quatre : mieux s’organiser

La recherche sur les gens plus heureux a souvent montré qu’ils sont bien organisés, qu’ils ne remettent pas les choses au lendemain, qu’ils sont efficaces et qu’ils planifient. Une telle organisation ne se manifeste pas seulement dans leur approche quotidienne de la vie, mais aussi dans leurs projets à long terme et dans leur sentiment d’orientation dans la vie. Les gens heureux semblent savoir où ils veulent s’en aller et ils semblent posséder les habiletés organisationnelles pour leur permettre de le faire.

Le trait fondamental Cinq : arrêter de se tracasser

L’une des découvertes majeures sur les gens heureux est qu’ils se tracassent beaucoup moins que la majorité des gens. Ainsi, dans nos cours, nous présentons l’inquiétude comme l’ennemi de base du bonheur ; c’est l’attitude qui mine le plus le bonheur de la personne moyenne. Les étudiants sont réintroduits à l’interdépendance entre les concepts de temps et de bonheur. Parallèlement à la discussion antérieure (que le bonheur d’une personne est proportionnel à la quantité de temps investi dans une activité plaisante), le message est maintenant que le bonheur d’une personne est inversement proportionnel à la quantité de temps passé dans des pensées négatives.

Comme l’inquiétude quotidienne est la forme la plus courante de pensées négatives, on demande aux étudiants de répertorier quotidiennement leurs inquiétudes. Après plusieurs semaines, une analyse du pattern des préoccupations individuelles démontre en général à l’étudiant : a) que la majorité des inquiétudes ne se réalisent jamais et que b) la majorité des préoccupations sont très souvent au-dessus de la capacité de contrôle d’une personne. De tels exercices tendent à démontrer aux étudiants la futilité des inquiétudes.

Le trait fondamental Six : bien ajuster ses attentes et ses aspirations

Cette leçon porte sur le rôle que jouent les attentes quotidiennes, ainsi que les ambitions à long terme sur le bonheur. Elle repose sur un des principes de base de la psychologie (confirmé dans la documentation scientifique sur le bonheur) : notre degré de satisfaction dans la vie ne repose pas seulement sur ce qui nous arrive, mais aussi sur ce que nous anticipons. Tenant compte de la recherche, nous centrons l’attention des étudiants sur quatre points cognitifs spécifiques qui démontrent comment les attentes, les aspirations et la réussite affectent le bonheur :

- Ne pas s’organiser pas être désappointé. Ici, nous soulignons la donnée la plus fondamentale de la « théorie des attentes » : des attentes élevées sont rarement satisfaites et conduisent généralement à la déception, alors que des attentes modérées amènent souvent à plus de satisfaction que prévu. De telles déceptions ou satisfactions ont un effet cumulatif sur l’évaluation d’une personne quant à son niveau général de bonheur.

- Les cultures industrielles surestiment le rôle que joue le succès sur le bonheur. Même si le succès semble apporter une contribution au niveau général de bonheur, la recherche indique que son impact (ainsi que son effet à long terme) est relativement mineur (particulièrement lorsqu’on le compare à d’autres facteurs plus influents sur le bonheur, comme la qualité d’une vie familiale et sociale). Des aspirations visant la réussite ne semblent pas rapporter autant que plusieurs d’entre nous le pensons.

- Le bonheur, dans la majorité des cultures modernes, est faussement perçu comme résultant d’une vie réussie et, parce que le succès est quelque chose qui est généralement atteint tard dans la vie (et seulement après plusieurs années de sacrifice et de travail ardu), la plupart des gens, sans le réaliser vraiment, perçoivent le bonheur comme quelque chose qu’ils doivent remettre à plus tard, attendant que cette réussite se réalise enfin. Les gens heureux ne tombent pas dans ce piège culturel. Ils n’attendent pas pour être heureux. Ils voient que « le bonheur est une façon de voyager plutôt qu’un lieu à atteindre ». Nous suggérons ici, comme nous le faisons souvent avec les traits fondamentaux, que le secret d’une vie plus heureuse repose généralement dans le présent et non pas dans un futur différé et incertain.

- Les gens heureux obtiennent ce qu’ils veulent parce qu’ils veulent ce qu’ils sont capables d’avoir ! L’évidence montre que les gens plus heureux ont tendance à choisir des objectifs à l’intérieur de leur capacité, obtenant du fait même succès après succès. Les gens malheureux, eux, présentent des ambitions presque impossibles à réaliser et perçoivent leur vie comme une série d’échecs. Le bonheur semble plus associé à des succès dans des objectifs que l’on peut atteindre qu’à des échecs dans la quête des étoiles.

Le trait fondamental Sept : développer une pensée positive et optimiste

Une pensée positive et optimiste est peut-être le trait le plus caractéristique des gens heureux qui a été rapporté dans la documentation scientifique. Tenant compte de cela, il faut comprendre la relation entre une attitude optimiste et positive et le bonheur : le bonheur d’une personne est perçu comme étant grandement déterminé par le genre de pensées qui habitent son esprit durant une journée. Plus ces pensées sont plaisantes, plus une personne éprouvera des émotions positives.

Le trait fondamental Huit : être orienté dans le présent

Longtemps reconnu comme une caractéristique majeure de l’actualisation de soi, la recherche a trouvé que les personnes heureuses sont très « orientées vers le présent », c’est-à-dire qu’elles investissent plusle présent et semblent extraire un maximum de plaisir de ce qu’offre chaque jour.
Le bonheur est beaucoup plus disponible dans « l’ici et maintenant » que dans le « là ou ensuite ». Les gens heureux semblent mieux apprécier leurs journées que les gens malheureux, surtout parce que leur attention n’est pas colorée par les regrets et les ruminations par rapport au passé ou par les inquiétudes face au futur.

Le trait fondamental Neuf : travailler sur une personnalité saine

En dépit de la critique sociale occasionnelle qui avance que toute personne qui est heureuse dans la société d’aujourd’hui doit « avoir perdu la raison », les résultats dans ce domaine (utilisant pratiquement tous les instruments et tests cliniques standardisés disponibles) ont démontré que les gens heureux sont très sains mentalement et significativement plus libres de symptomatologie et de plaintes psychologiques que la population en général.
Quelques principes de santé mentale de base :
- aimez-vous,
- acceptez-vous,
- connaissez-vous,
- aidez-vous.

Le trait fondamental Dix : développer une personnalité engageante

En plus de l’optimisme, le trait de personnalité le plus rapporté chez les gens heureux est l’extraversion. Ainsi, surtout parce que le bonheur apparaît plus élevé pour ceux qui jouissent d’une vie sociale active : il est important de devenir une personne plus sociable, plus engageante, tant sur le plan cognitif (en expliquant l’importance de l’extraversion comme voie majeure à une vie sociale plus heureuse) que sur le plan comportemental (en termes de techniques comme sourire davantage, reconnaître les autres, initier la conversation, ainsi que d’autres options qui permettraient d’élargir leurs contacts sociaux).

Le trait fondamental Onze : être soi-même

Les recherches de personnalité portant sur les gens heureux rapportent qu’ils ont tendance à demeurer eux-mêmes. Des termes comme « naturel », « spontané », « authentique », « sincère », « à l’aise », « honnête », « expressif », « franc », « réel », « ouvert », ainsi de suite, apparaissent souvent dans la documentation scientifique.

Le trait fondamental Douze : éliminer les sentiments négatifs et les problèmes

Ce trait fondamental est introduit comme avertissement par rapport à tout le reste du cours sur le bonheur. La plus grande partie du contenu éducatif de ce cours s’adresse à une assistance « normale », libre de difficultés psychologiques significatives.

Le trait fondamental Treize : les relations intimes sont la première source de bonheur

Les sondages internationaux ont traditionnellement montré que, de tous les facteurs étudiés, les liens du mariage et de la famille se sont avérés la plus importante source de bonheur, quel que soit le revenu ou le niveau social ; des décades de recherches sur le bonheur l’ont aussi confirmé : « les relations proches sont la première source de bonheur. »

Le trait fondamental Quatorze : valoriser le bonheur

Le trait fondamental final s’intéresse à la place qu’accorde une personne au bonheur dans ses priorités générales. Les gens les plus heureux semblent accorder une plus grande valeur au bonheur, au bien-être subjectif et à des concepts similaires que ne le font d’autres personnes.
En effet, plusieurs personnes heureuses font du bonheur leur plus importante préoccupation dans la vie, alors que les gens plus malheureux tendent à faire peu de cas du bonheur.
De plus, les gens heureux semblent avoir beaucoup réfléchi à leur bonheur, comme en témoigne leur capacité à en donner des définitions plus adéquates. Ils ont une intuition plus pénétrante sur les sources fondamentales du bonheur, une plus grande sensibilité aux émotions heureuses et une meilleure appréciation de celles-ci dans leur vie. Le point ici est que l’atteinte du bonheur peut bien être liée à l’importance du désir d’être heureux et à la valeur que quelqu’un lui accorde.


Fordyce, M. W. (1997) ÉDUCATION AU BONHEUR , Revue québécoise de psychologie, vol. 18, n° 2, 1997 Edison Community College (États-Unis)

Traduit et adapté de l’anglais par Pierre Cousineau http://www.rqpsy.qc.ca/ARTICLE/V18/...