Le burnout institutionnel : un chaos psychologique qui altère la créativité de tous les acteurs du système éducatif (Heutte, 2007, 2009)

 septembre 2007
par  Jean Heutte
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Ces dernières années, l’évolution des programmes et les « réformes » sont si nombreuses que, selon Bronner (1997), elles génèrent un sentiment de « maltraitance institutionnelle », nombreux sont les enseignants qui se sentent comme attaqués au niveau d’une sorte de « noyau dur » de leur rapport au savoir, constitutif de leur soi professionnel. Bronner avance même l’idée de « vide didactique institutionnel », évoquant le fait que l’institution ne propose pas suffisamment d’éléments de négociation, voire reste silencieuse, au niveau des aménagements de ces « crises » du savoir dans le processus de transposition didactique. Globalement, ni la formation initiale ou continue, ni le discours des corps d’inspection, n’aident réellement les enseignants à surmonter ce traumatisme, ce qui a une lourde incidence sur leur comportement devant leurs élèves et le ressenti par rapport à l’institution qui les emploie (Berdot, Blanchard-Laville, Bronner, 2000).
En fait, à l’image de nombreux personnels, tout semble indiquer que c’est l’ensemble du système éducatif qui vit le burnout, ou le syndrome d’épuisement professionnel (Alem, 2003), un « stade d’abattement, de découragement, de lassitude pouvant conduire à l’épuisement et à la paralysie. » (Gaubert, 2003). En France, ce « désarroi contemporain » (Guillebaud, 1995), auquel les enseignants seraient peut-être encore plus sensibles, pourrait être lié à un sentiment de défaite de l’idéologie et la fin d’un certain rêve du politique, accentué depuis l’échec, en 1982, de l’action du gouvernement de l’époque qui a ébranlé les consciences, avec le tournant de la rigueur, vers une social-démocratisation inavouable. Depuis cette époque, il semble que le "peuple de gauche" vive cruellement l’échec de l’alternance, portée à l’époque par toute une génération (dont de nombreux enseignants), et soit entré dans « l’âge du pathos » (Sirinelli, 2007). Ainsi, la crise de l’école pourrait aussi être liée à une crise du sentiment d’efficacité collective : très élevé dans les années 70, porté par le flow de la "génération 68" et l’attente du "grand soir" ; très faible depuis 25 ans, affecté par la désillusion de n’avoir pu mettre en œuvre une alternative à l’économie de marché depuis 1981.

Le « climat de lassitude, de démobilisation et d’aigreur » (Darcos, 2007) est à la mesure du sentiment de dégradation de la qualité de vie au travail des enseignants (Horenstein, 2005), ce qui a une incidence sur leur sentiment d’efficacité personnelle et, pour certains, sur leur santé mentale. Deux autres études (Fotinos, 2005a, 2005b) soutenues par la mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) mettent en valeur l’importance du moral des enseignants et de leur qualité de vie, dans le climat scolaire.
La dégradation est particulièrement marquée dans le premier degré :
- 92% des directeurs déclarent être de plus en plus soumis au stress (contre 80% dans les collèges et les lycées),
- 52 % sont peu ou pas satisfaits (contre 26 % dans le secondaire).
- 70% affirment que leurs conditions de travail se dégradent (contre 52% dans le secondaire)
- 85% se jugent "plutôt" ou "tout à fait pessimistes" sur l’avenir du système éducatif.

Sur les dix dernières années, la détérioration des liens professionnels entre les directeurs et l’inspecteur est considérable :
- 63 % considèrent en effet que les inspecteurs ne sont pas à l’écoute de leur demande,
- 57 % que la hiérarchie ne les soutient pas ;
- 45 % que les informations transmises par les supérieurs hiérarchiques leur apportent « assez peu » ou « très peu ».

De plus, concernant tout particulièrement les enseignants du premier degré, depuis la création des IUFM et du corps des professeurs des écoles (PE) en 1989, il n’est pas certain que tous les formateurs des écoles normales et tous les inspecteurs aient réussi leurs mutations respectives. Il n’est pas sûr que chacun ait perçu qu’en tant que cadre A, les PE devaient être traités en « cadres concepteurs », et non plus en « agents d’application ». D’autre part, même « professeurs » (vs « instituteurs »), par rapport à leurs collègues du second degré, la perception du métier est très différente : « faire la classe » nécessite une implication affective très différente de celle qui est nécessaire pour « faire des cours ». Les effets éprouvants de cette implication, 27 heures par semaine, et le stress de la polyvalence sont rarement pris au sérieux par ceux qui travaillent en dehors des écoles primaires. Pour ne rien arranger, au niveau de l’administration centrale, le premier degré est mal perçu, peu maîtrisé, guère piloté (MINEFI, 2006).
Globalement, en une génération, les primaires, ces incapables prétentieux (Isambert-Jamati, 1985), se sentent surtout méconnus, incompris et humiliés. Selon le dernier rapport du Haut Conseil de l’Education (HCE, 2007), l’école primaire est « résignée ».

Mais le malaise ne se limite pas aux écoles primaires. Depuis chaque établissement, jusque dans les services déconcentrés ou au sein de l’administration centrale, à tous les étages de la pyramide se met en scène la comédie sociale de l’organisation : cruauté des envies, cruauté de l’ambition, besoin inassouvi de reconnaissance (Heutte, 2005). Les griefs formulés vis-à-vis de sa hiérarchie directe sont globalement à chaque fois les mêmes : chacun regrette que ses compétences réelles soient ignorées, d’être submergé par des tâches dont il ne comprend pas le sens, qui exigent de plus en plus de polyvalence (pour lesquelles il ne s’estime d’ailleurs pas nécessairement compétent), dans des délais toujours trop courts et qui globalement ne lui laisse plus le temps de réaliser les missions correspondant aux raisons pour lesquelles il était enthousiasmé à l’idée de pouvoir faire ce métier (Heutte, 2003). Dans leur rapport de recherche Évaluation de la santé mentale au travail, Brun, Biron et Martel (2003) arrivent globalement à la même conclusion. Selon eux, quatre principaux facteurs de risque, en ordre décroissant d’importance, portent atteinte à la santé mentale au travail :
- la surcharge quantitative ;
- le peu de reconnaissance de l’entourage ;
- les pauvres relations avec le supérieur ;
- la faible participation aux décisions ;
- le manque de circulation de l’information.

Sans en être l’unique explication, ce chaos psychologique altère chez tous les acteurs la capacité à trouver, écouter ou comprendre les réponses qui permettraient de faire progresser l’ensemble du système (Csikszentmihalyi, 2006) et d’avoir la créativité nécessaire pour faire progresser les élèves les plus en difficulté.


Sources :
Heutte J. (2007) Déploiement d’une écologie de l’apprenance : Vers une nouvelle culture de la formation professionnelle universitaire des enseignants ?
Communication, à l’occasion du colloque international CDIUFM Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire des enseignants ? (Arras, mai 2007)

Heutte J. (2009) - Mieux prendre en compte les compétences des personnels de l’éducation au cours de leur carrière, pour sortir du burnout institutionnel : quelques apports de la psychologie positive. Dans D.-G. Brassart & G. Legrand (Coord.), Actes du 3e colloque international CDIUFM "Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire des enseignants ?", Artois Presses Université, Tome 2, p-201-220.

soumis en 2007, accepté en 2008 et publié en 2009...
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