L’entreprise apprenante : pour innover (Langelier, 2005)

 mars 2007
par  Jean Heutte
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Déjà en 1988, Arie de Geus, alors coordonnateur mondial de la planification chez Shell, écrivait que « le véritable avantage concurrentiel de la compagnie de demain réside en la capacité de ses dirigeants à apprendre plus rapidement que ses concurrents ».

Huit ans plus tard Jack Welch reprenait ce même thème. Dans sa lettre aux actionnaires contenue dans le rapport annuel de 1996, il indiquait que le comportement de sa compagnie (General Electric) était « dicté par un credo fondamental : que la supériorité concurrentielle d’une organisation réside dans sa capacité et sa motivation d’apprendre de toute source et de rapidement traduire cet apprentissage en action ».

Le grand dictionnaire terminologique propose le terme entreprise apprenante pour désigner une « organisation où sont établis des processus permanents de gestion des savoirs dans le but de favoriser le développement et le transfert des connaissances détenues collectivement en vue de constituer un réservoir de leviers stratégiques dans lequel elle peut puiser pour créer de la valeur et s’ajuster ainsi à la concurrence ».

Il s’agit donc d’une capacité organisationnelle réelle et essentielle : l’entreprise apprend et s’adapte en conséquence.

Le thème de l’apprentissage organisationnel est abondamment développé par Sumantra Ghoshal et Christopher A. Bartlett dans leur ouvrage The Individualized Corporation. Les auteurs indiquent, que les animaux sociaux que nous sommes sont naturellement enclins à interagir et à apprendre les uns des autres : pendant des milliers d’années, les familles, les clans, les communautés ont évolué comme collectivités d’apprentissage où la capacité de chacun de partager et de synthétiser des connaissances formait la base des liens sociaux et constituait le moteur du progrès collectif. Curieusement, remarquent-ils, l’entreprise moderne s’est donné des structures qui contraignent, empêchent ou même tuent cet instinct naturel.

Ce qu’il faut, au contraire, c’est développer cette capacité de relier entre elles les initiatives dispersées et de mettre en commun l’expertise disséminée au moyen d’un processus continu d’action et d’apprentissage nourri des relations entre les gens.

Les organisations dont les employés sont devenus des « spécialistes en collaboration » ont trois caractéristiques en commun :

  1. Elles ont consenti un investissement substantiel dans le développement de leurs ressources, recrutant les meilleurs employés et leur donnant les moyens de hausser et d’élargir leurs compétences.
  2. Elles ont déployé les outils, créé les processus et développé les relations interpersonnelles nécessaires pour assurer un flot horizontal continu d’information intégré dans un processus collectif d’apprentissage partagé.
  3. Cela les a conduites au développement d’un fort sentiment de confiance, tant parmi les collègues qu’entre supérieurs et subordonnés.

C’est ce véritable réseau horizontal qui permet de maintenir la circulation des idées et des connaissances au-delà des frontières que nous imposent les structurelles fonctionnelles classiques que nous connaissons depuis plusieurs décennies ou les réorganisations basées sur les unités d’affaires produits-marchés que nous connaissons depuis une quinzaine d’années !

L’apprentissage est un acte individuel, certes, mais indissociable de sa composante sociale. « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres » nous rappelle Philippe Carré dans une jolie formule. Quant aux entreprises, elles doivent, pour demeurer concurrentielles, maintenir les conditions nécessaires à la création, à la dissémination, au renouvellement et à la réutilisation des connaissances de leurs employés. Les communautés de pratique intentionnelles contribuent puissamment à cette chaîne d’événements pour le bénéfice des équipes, des départements ou des groupes fonctionnels dont leurs membres font partie. Pour peu qu’on favorise l’émergence et l’essor de ces communautés, leurs échanges informels se transformeront éventuellement en idées de produits, en processus améliorés ou en applications novatrices.

D’ailleurs, peut-être n’est-ce pas un hasard que ce sont souvent de petites unités autonomes de grandes compagnies qui sont à l’origine d’idées qui ont révolutionné leur entreprise.

Il est bien fini ce temps où les patrons, seuls à tout savoir, contrôlaient en permanence le labeur de leurs ouvriers ignares !

Maintenant, comme l’a remarqué Steve Jobs, cela ne fait aucun sens d’embaucher des candidats extraordinaires pour simplement leur dire quoi faire ; on les choisit justement afin que ce soit eux qui disent à leur employeur comment faire !


source :
Langelier Louis, 2005, guide de mise en place et d’animation de communautés de pratique intentionnelles : travailler, apprendre et collaborer en réseau, Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO)

http://www.cefrio.qc.ca/pdf/GuideCo...