Les facteurs de la persévérance dans l’enseignement (Lebel & Bélair, 2007)

mardi 1er octobre 2013
par  Jean Heutte
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L’exploration de l’activité enseignante par les recherches portant sur la professionnalisation du métier (Gauthier et Mellouki, 2006), sur la construction identitaire et l’insertion professionnelle (Lessard et Tardif, 2003) et sur la complexité rattachée à l’enseignement (Perrenoud, 1996) a été particulièrement fertile depuis plus de 20 ans. Ces éclairages ont d’ailleurs permis de clarifier les nombreuses facettes qui interviennent dans le processus d’insertion dans le métier et les conditions qui s’y rattachent (Mukamurera, 2006). La présente recherche, tout en prenant en considération la construction identitaire et l’insertion professionnelle, vise toutefois à s’attarder prioritairement aux raisons pour lesquelles les enseignants persévèrent dans la profession et y trouvent un sens malgré les difficultés qui prévalent (Paquay et al. 1998).

Les statistiques nord américaines actuelles démontrent effectivement un taux d’abandon oscillant autour des 14% parmi les jeunes enseignants durant les premières années d’entrée en fonction et de 20% dans l’ensemble du corps professoral (Mukamurera, 2006). Les raisons invoquées par les nouveaux enseignants qui quittent la profession touchent principalement la lourdeur de la tâche, les groupes-classes difficiles et la précarité de l’emploi (ibid). Ces douze à trente-six premiers mois d’insertion professionnelle, qualifiés par Huberman (1989) d’années de tâtonnement et de survie seraient ainsi particulièrement cruciaux en ce qui a trait à la décision de poursuivre ou non la carrière en enseignement. Or, les besoins accrus de personnel enseignant, auxquels s’ajoute la problématique de la désertion scolaire au sein du corps enseignant en général, font en sorte qu’il convient de réfléchir à la construction d’un répertoire d’outils riches et variés et à la mise en place de dispositifs de formation susceptibles de permettre aux futurs enseignants de relever de manière pertinente les nombreux défis rattachés à la pratique de l’enseignement au 21 ème siècle et de favoriser le développement d’aptitudes propres à la persévérance.

Le cadre de référence

La persévérance s’appuie principalement sur la psychologie cognitive et est issue du domaine de la persévérance dans la réussite scolaire (Crespo et Houle, 1995). Willoughby et al. (2003) soulignent que la persévérance est une obstination ou une orientation du comportement afin d’atteindre un but. Elle peut difficilement être appréhendée indépendamment de divers concepts qui s’y rattachent, qui entretiennent des liens serrés et qui, tour à tour offrent un éclairage susceptible de mieux expliciter l’action de persévérer. Ces concepts se caractérisent surtout par la résilience (Cyrulnik, 2003 ; Sumsion, 2004), tout en faisant intervenir l’autoefficacité (Bandura, 1989) incluant entre autres, la perception et le sentiment de compétence, l’engagement (Kiesler, 1971), l’attribution causale de Weiner (1992), l’autodétermination et la motivation intrinsèque (Deci et Ryan, 2002) qui expliquent à degrés divers, cette capacité qu’ont les individus de perdurer, indépendamment des conditions d’exercice.

À ces premiers concepts viennent s’ajouter l’expérience optimale (flow) (Csikszentmihalyi, 2004), l’enthousiasme (Dubé et al., 1997), le bonheur (Myers et Diener, 1997) et l’agentivité (Bandura, 2001) qui alimentent la compréhension des modes d’inscription et d’adhésion des individus dans des contextes ou des situations sociales données. Ces premiers constats laissent supposer que la persévérance se définit au travers ces concepts et qu’elle entretient des liens étroits avec la résilience. À cet effet, Bandura (1989) souligne que la résilience implique de vaincre des obstacles grâce à des efforts persévérants et qu’elle serait en fait, le sens élargi de la persévérance dans des conditions adverses. Ainsi, les personnes qui persévèrent ont plus de chances d’être résilientes, alors que celles dites résilientes, se caractérisent par leur persévérance.

Les recherches récentes sur cette problématique en contexte de travail (Sumsion, 2004) et plus spécifiquement dans l’enseignement (Théorêt et al. 2004) utilisent effectivement le concept de résilience pour parler de cette capacité qu’ont des individus de faire face à des situations conflictuelles ou adverses. Issue du domaine de la physique (Lighezzolo et De Tychey, 2004), le concept de résilience connaît aujourd’hui une popularité croissante dans différents domaines qui touchent l’être humain, que ce soit en psychologie, psychiatrie, en éducation, en sociologie. Cet intérêt pour la résilience s’expliquerait par le regard renouvelé qu’elle permet de porter sur la vie, plus particulièrement sur le devenir des personnes ayant traversé des situations de traumatisme élevé ou ayant évolué dans l’adversité. Ce changement de regard porté sur le vécu des individus dans différentes situations à risque permet effectivement de constater qu’en dépit des épreuves, les personnes peuvent s’en sortir. La résilience ayant principalement été explorée auprès de personnes ayant traversé des conditions à hauts risques, Vanistendael (2001) rappelle qu’à titre de réalité humaine, cette manifestation a toujours existé et qu’il importe désormais de la conjuguer à la vie quotidienne. Selon cet auteur, en dehors des situations extrêmes, il existe également une résilience très présente dans la vie quotidienne de la grande majorité des gens, mais moins spectaculaire, donc moins visible et moins documentée. Chaque être humain naîtrait avec une capacité innée de résilience, puisqu’il existe en lui une tendance innée à la croissance et au développement (ibid). Brooks et Goldstein (2006) abondent dans le même sens en indiquant qu’il importe de faire la lumière sur la résilience en tant que problématique liée à la vie courante des individus, puisque nul ne sait à quel moment il sera confronté à l’adversité (deuil, maladie, conflits chômage, pertes, séparations etc.) ou à la crise. Ces constatations nous invitent à envisager l’idée que les enseignants qui persévèrent dans l’exercice de leurs fonctions, lesquelles sont exigeantes en raison de la complexité du métier, posséderaient certains traits propres à la résilience ou auraient des prédispositions qui peuvent influer sur cette dernière.

Les personnes résilientes et persévérantes sont convaincues que leurs ressources personnelles leur permettent de décider de leur sort, au sens où elles sont confiantes sans être centrées sur leur ego Csikszentmihalyi (2004). Ces personnes n’orienteraient pas leur énergie vers la maîtrise de l’environnement, mais se concentreraient plutôt sur la façon de composer avec lui, action faisant référence au concept d’auto-détermination de Deci et Ryan, repris par Kumpfer (1999) à la suite de Bandura, (1989). Or, la détermination dans l’accomplissement des activités résulte de la motivation intrinsèque (Deci et Ryan) laquelle est une composante importante de l’expérience optimale (Csikszentmihalyi). On constate de plus que la persévérance se présenterait comme un critère voire une manifestation chez des individus développant un profond attachement à leur travail et s’identifiant fortement à ce dernier en raison de la signification particulière qu’il revêt (Duchesne et Savoie-Zajc, 2005).


Source :
Lebel, C. & Bélair, L. (2007). Les facteurs de la persévérance dans l’enseignement, Actes du colloque Actualité de la recherche en Éducation et en Formation (AREF 2007), Strasbourg, France.