Le burn out : l’épuisement professionnel, émotionnel et mental (Andlauer, 2008)

 juin 2009
par  Jean Heutte
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Au début du XXe siècle, l’expression « to burn oneself out » signifie en langage populaire « travailler trop dur et mourir jeune ». Le terme japonais « karoshi » a un sens identique : mort par excès de travail, et peut être considéré comme une forme extrême de burnout.
Le concept d’état d’épuisement apparaît en France dans les travaux de C. Veil dans les années 1950 pour décrire chez des professionnels des manifestations qui n’entrent pas dans le cadre de la nosographie classique (Pasquier de Franclieu-Descamps, 2008).

En français, le dictionnaire Littré nous apprend qu’épuisement est le substantif dérivé du verbe épuiser, qui signifie mettre à sec un puits. En 1961, l’écrivain Graham Greene raconte, dans le roman intitulé la « Saison des Pluies », la triste histoire de Querry, un architecte new-yorkais mondialement connu. L’édition originale est intitulée « A Burnt-out case » et décrit en détail ce syndrome. Malgré le succès de cet ouvrage, le terme de burnout ne sera pas popularisé.

Dans le passé, nombre d’autres notions ont été utilisées pour décrire des états similaires, comme le « surmenage » de Tuke en 1882, et l’ « industrial fatigue » de Park en 1934 (Schaufeli et al., 1998), mais aucun n’aura le succès rencontré par le terme burnout à partir des années 1970.

1.1. Freudenberger

Le terme utilisé dans la littérature anglo-saxonne est burnout. Il est d’abord employé pour évoquer l’épuisement professionnel de travailleurs sociaux dans des programmes de réinsertion de jeunes délinquants (Bradley, 1969). Il est ensuite conceptualisé par le psychiatre Freudenberger en 1974, à partir de son expérience auprès de professionnels et de bénévoles dans une structure d’aide aux toxicomanes (Freudenberger, 1974). Beaucoup des bénévoles qui y travaillent finissent, après un an d’activité, par perdre l’enthousiasme qui a départ suffisait à nourrir leur engagement. Des symptômes physiques caractéristiques accompagnent ces changements : épuisement, fatigue, persistance de rhumes, de maux de tête, de troubles gastro-intestinaux, d’insomnies. Freudenberger souligne les symptômes comportementaux : colère, irritabilité, incapacité à faire face aux tensions et situations nouvelles, sont les premiers signes de ce qu’il nomme « craquage » ou « épuisement émotionnel et mental ». Cynisme et stratégies de surenchère, ou, à l’inverse, d’évitement peuvent complèter le tableau (Truchot, 2004).
Dans la langue anglaise, burnout signifie « s’user, s’épuiser, craquer en raison de demandes excessives d’énergie, de forces ou de ressources ». Le terme qualifie par exemple l’état d’une bougie qui, après avoir éclairé de longues heures n’offre plus qu’une flamme désuète. Cette image rend bien compte de l’interprétation avancée par Freudenberger. Il explique ce phénomène par une idéalisation du rôle de l’individu, sans rapport avec la parfois dure réalité de l’engagement auprès de patients. Avec Richelson, Freudenberger définit alors le burnout comme « un état de fatigue chronique, de dépression et de frustration apporté par la dévotion à une cause, un mode de vie, ou une relation, qui échoue à produire les récompenses attendues et conduit en fin de compte à diminuer l’implication et l’accomplissement au travail » (Freudenberger et al., 1980).

1.2. Maslach

La définition de l’épuisement professionnel, ou burnout, la plus utilisée est celle formulée par Christina Maslach, professeur de psychologie sociale à l’université de Berkeley en Californie. Elle est à l’origine de l’instrument psychométrique le plus largement utilisé pour évaluer le burnout : le Maslach Burnout Inventory ou MBI. Elle remarque que le burnout semble commun aux professionnels de santé et aux avocats. Elle émet donc l’hypothèse que travailler avec d’autres, en particulier dans une relation d’aide, est le coeur du phénomène.
A l’inverse de Freudenberger qui insistait sur les facteurs personnels, elle situe davantage les causes du burnout dans l’environnement de travail. Jusqu’ici les travaux sur le burnout s’appuient essentiellement sur l’expérience clinique. Maslach publie au début des années 1980 les premières recherches empiriques systématiques (Truchot, 2004). « Le burnout est un syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l’accomplissement personnel qui apparaît chez les individus impliqués professionnellement auprès d’autrui ».

L’épuisement professionnel est donc caractérisé par trois dimensions : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation ou cynisme, et l’efficacité professionnelle.

- L’épuisement émotionnel
L’épuisement émotionnel renvoie à l’appauvrissement des ressources du sujet. La personne est vidée nerveusement, a perdu tout entrain, n’est plus motivée par son travail qui devient une corvée. L’épuisement émotionnel s’accompagne de frustration et de tension dans la mesure où l’individu ne réalise plus le travail qu’il effectuait auparavant. Cette dimension est souvent liée au stress et à la dépression. Les conceptions théoriques autant que les résultats empiriques lui donnent un rôle central dans le processus de burnout.

- La dépersonnalisation ou cynisme
Il s’agit de la dimension interpersonnelle du burnout. Celle-ci renvoie au développement d’attitudes détachées, négatives, cyniques envers les individus rencontrés dans le contexte de travail. Il ne s’agit donc pas d’un trouble dissociatif au sens de la dépersonnalisation décrite en psychiatrie, mais d’une déshumanisation de la relation à l’autre. C’est la raison pour laquelle Maslach a finalement opté pour le terme de cynisme, qui prête moins à confusion que celui de dépersonnalisation. Ce détachement peut se transformer en une vision de la personne comme un adversaire ou un objet, et peut aller jusqu’à des conduites de maltraitance (Daloz et al., 2005). La dépersonnalisation peut parfois se traduire par le cynisme de l’humour grinçant des carabins.

- L’efficacité professionnelle
La diminution de l’efficacité professionnelle est la dimension d’auto-évaluation du burnout. Elle se caractérise par un sentiment d’incompétence professionnelle et de manque de réalisation personnelle dans le travail. Elle s’accompagne d’une diminution de l’estime de soi et du sentiment d’auto-efficacité. Le sujet a alors le sentiment de ne pas atteindre ses objectifs, ne s’attribue plus de capacité à faire avancer les choses, convaincu de son inaptitude à répondre effectivement aux attentes de son entourage.

- Evolution naturelle
Considéré comme un processus qui se développe dans le temps, le burnout débute avec l’épuisement émotionnel, et continue avec le cynisme et la diminution de l’efficacité professionnelle (Floru et al., 1998). L’épuisement émotionnel constitue une réaction aux stresseurs professionnels, notamment la charge de travail et le conflit avec les personnes de l’environnement de travail. Par la suite, l’impact des stresseurs sur l’épuisement émotionnel influe sur le cynisme et l’efficacité professionnelle. L’individu se détache de son travail en réponse au stress. Il s’agirait donc d’un comportement défensif, d’une modalité adaptative. Ce modèle évolutif permet d’envisager le dépistage des symptômes précoces (d’épuisement émotionnel) et ainsi d’avoir comme perspective une intervention de prévention du burnout.

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Source :
Andlauer O. (2008) Etude de la notion de burn out 25 Nov. 2008, Université de Franche Comté. CHU de Besançon. http://www.souffrancedusoignant.fr/...